Forum d’Alger : sommet de la honte ou de l’inconscience ?
Par le Dr Arab Kennouche – Alors que le Forum d’Alger vient à peine de fermer ses portes, les discours euphoriques pleins de promesses pleuvent à n’en plus finir sur les deux rives de la Méditerranée, octroyant à l’Algérie le rôle historique de propulseur du développement économique dans l’Afrique du XXIe siècle. Il ne se passe plus un jour sans que l’on vante la frénétique ouverture économique de l’Algérie, son désert plein de richesses, ses routes, ses aéroports que le président Bouteflika aurait encensés dans une volonté presque magique de sortie de crise, non sans rendre fallacieusement espoir à une nation déjà en prise avec les premières mesures du «taqachouf», comprendre du «se serrer la ceinture». Néanmoins, à y voir de plus près, rien n’augure d’une telle envolée économique en Algérie tant les données structurelles du pays empêchent tout discours euphorisant comme ceux d’un Ali Haddad ou même des cercles présidentiels.
Les faits sont inquiétants à plus d’un titre : les mandats de Bouteflika n’ont pas créé ce dynamisme économique tant attendu selon une stratégie de long terme, basée essentiellement sur le transfert des savoir-faire de l’Occident vers l’Algérie, et dont le meilleur exemple et le meilleur modèle restent la politique de formation et de rapatriement des cerveaux initiée par la Chine. Alors, on pourrait même affirmer que les déboires du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, n’auraient pas dû outrepasser les limites de ce sommet de l’esbroufe économique, conduit uniquement dans le but d’alimenter quelques carnets de commandes sans incidence notoire sur les structures réelles de l’économie algérienne, ou pour donner plus de lustre à une salle de conférences flambant neuve.
Mais, au juste, qu’était-on en droit d’attendre de la part des pouvoirs publics algériens en dehors de ces gris-gris qui jettent de la poudre aux yeux de la nation plus qu’ils ne la propulsent vers plus de développement ?
Le rôle fondamental de l’ingénieur
Il faut le dire tout simplement : sans ingénieurs et sans savoir-faire national, il n’y aura jamais de développement soutenu de l’économie algérienne. Les économistes puis les financiers continuent de s’arroger les beaux rôles dans les questions de développement mais la loi incontournable du savoir-faire, ou know-how, reste le cœur du problème de toute économie politique qui se voudrait en sécurité, loi largement occultée au Forum d’Alger, par les Ali Haddad et consorts. Prenons un simple exemple pour nous en assurer une dernière fois : un individu invente seul presque artisanalement une pilule anticancéreuse miraculeuse, jusqu’ici jamais égalée. S’ouvrira alors devant lui un marché immense de demandeurs sans qu’il soit besoin de faire appel à des économistes ou à une armada de patrons d’industries. C’est le produit et sa nature qui créent le futur marché, que l’économiste aura beau jeu d’optimiser, on peut le concéder. Mais sans produit pas de marché, pas d’économie nationale, et sans économie nationale, pas d’indépendance étatique ; en d’autres termes, sans produit pas d’Etat.
Les calculs de rentabilité, de gestion, de performance, malgré leur importance en aval, perdent toute signification si une nation n’est déjà pas capable de produire de A à Z une machine-outil. Or, l’Algérie de Bouteflika est celle d’une nation qui ne sait encore rien produire sans faire interférer dans la chaîne de production une part importante de produits intermédiaires étrangers, quand ce n’est pas la partie la plus haute en valeur ajoutée. Pourtant, tout avait bien commencé sous l’ère Boumediène, et on avait espoir que des véhicules puissent être fabriqués, moteurs compris, entièrement de mains algériennes. Or, actuellement, par exemple, les camions et cars de la SNVI sont montés avec des moteurs français ou allemands. Autrement dire, c’est de l’étranger que l’économie nationale est contrôlée. Ce principe est valable pour Condor et d’autres grandes entreprises algériennes dont les produits sont partiellement manufacturés en amont, donc dépendants des caprices des économies développées.
Ceci provient d’une absence totale de la part des pouvoirs publics d’une stratégie fondamentale d’acquisition des savoirs technologiques selon le modèle chinois, rendu vitale pour un pays comme l’Algérie dont les ressources sont convoitées au plus haut point. Le patriotisme de paillettes du FCE fait d’affairisme féodal et de carnets de commandes à l’export, aura un jour à subir les contrecoups d’une politique délétère, irresponsable de fuite des cerveaux qui, de fait, sont le fer de lance de toute économie nationale prospère.
Bouteflika et la fuite des cerveaux
Le grand échec du président de la République, c’est de ne pas avoir retenu les cerveaux algériens et leur compétence dans le pays. Aussitôt formé, le technicien algérien tente de fuir le pays pour ne plus jamais revenir. Salaires de misère, conditions de travail déplorables, népotisme, tout a été fait pour que le scientifique ou l’ingénieur algérien quitte le pays. Pourtant, les grandes écoles ne manquent pas, mais elles lorgnent toutes vers Paris, Montréal, les pays du Golfe… En Europe, surtout en France, on se préoccupe de ce que peu d’ingénieurs sont formés chaque année, d’où les retards de croissance. La Chine doit sa position enviable à la formation de millions d’ingénieurs en Occident et à leur rapatriement programmé, patriotique et très largement soutenu financièrement. Ils retournent choyés dans leur pays, se sachant le véritable poumon économique de la nation. Sans ingénieurs bien payés, il ne peut y avoir de développement économique souverain et soutenable à long terme.
Encore une fois, le Forum d’Alger n’a fait que déplacer le problème ou le dissimuler en conférant à l’Algérie un rôle de sous-traitant pour les pays du Sahel, sous le parrainage intéressé de l’Europe. Sous l’ère Bouteflika, aucune politique gouvernementale d’envergure n’a été dictée pour organiser structurellement une convergence et un retour des cerveaux formés à l’étranger comme l’a fait la Chine, et dont on voit les résultats macroéconomiques aujourd’hui. Pire, on a édicté des lois suicidaires, dont le fameux article 51, à l’impact psychologique mortel au plan économique : les Algériens de l’étranger ont compris par cette mesure que leur pays les rejetterait au moindre faux pas. Au lieu de favoriser le retour de la matière grise, on les a chargés de suspicion et de tous les maux.
On inaugure des mosquées, des prisons, des centres commerciaux, mais aucune technopole n’a été créée, aucune Silicone Valley n’a été édifiée à ce jour. On a cherché querelle à la ministre de l’Education, Nouria Benghebrit, pour un alif ou un noun, alors qu’elle ne s’est jamais vu proposer un vaste plan de formation et d’acquisition des savoirs à l’étranger depuis les ministères stratégiques, qui eût été établi par une présidence de la République bien plus responsable et visionnaire.
Alors, il ne nous reste que nos yeux pour rire ou pour pleurer à la moindre déclaration d’un Ali Haddad propulsé sous les feux de la rampe afin d’oublier ce gouffre immense laissé devant nous, par tant d’hommes et de femmes qui manquent à l’Algérie et que d’autres nations développées ont récupérés à jamais.
Les ennemis de l’Algérie ont décidément de beaux jours devant eux.
A. K.
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