Marwan Mohammed : «La critique de l’islam politique ne relève pas de l’islamophobie»
Chercheur au CNRS, Marwan Mohammed décortique le concept d’islamophobie que d’aucuns considèrent aujourd’hui comme galvaudé par des discours à la carte, et démonte tant de stéréotypes véhiculés par les médias et politiques occidentaux, et plus particulièrement français, sur la réalité de l’islam et des musulmans. Dans une interview au journal Le Monde, parue dans son édition de samedi, le chercheur estime qu’à la base les discours islamophobes ont tout de discours racistes. Il rappelle que les inventeurs de ce concept étaient des ethnologues en mission en Afrique de l’Ouest, au début du XXe, l’ont lancé pour mettre en garde contre l’ignorance de l’administration coloniale de la réalité musulmane, ce qui risquait de «fragiliser la domination française».
Le chercheur, qui est aussi coauteur d’un ouvrage intitulé Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le problème musulman (2013), considère que ce concept ne doit pas servir d’alibi, comme l’utilisent certains en calquant le modèle de l’antisémite, pour critiquer l’islam, ses dogmes, ses manifestations sociales ou des idéologies qui s’en réclament. Ce qui n’empêche pas, outre mesure, des islamophobes notoires, tels que Caroline Fourest ou Alain Finkielkraut de s’attaquer à l’islam et aux musulmans, sans discernement, tout en prétendant qu’ils ne peuvent en parler. Marwan Mohammed est clair sur ce point : «La critique de l’islam politique et du rigorisme religieux ne relève pas de l’islamophobie.» «C’est même en France une sorte de sport national, une obsession quotidienne qui n’est soumise à aucune censure, bien au contraire», assène-t-il.
Dans son analyse, le chercheur lie la montée de ce phénomène en France à un certain héritage anti-arabe, voire surtout anti-algérien. «Il n’y a qu’à voir, explique-t-il, comment à travers Eric Zemmour, Robert Ménard et bien d’autres, les cicatrices algériennes continuent de hanter le débat public et la société française.» et d’enchaîner : «Historiquement, le racisme anti-arabe a souvent emprunté la voie de la disqualification religieuse.»
A la question de savoir si l’islamophobie est un racisme comme les autres, le chercheur répond que la lutte contre l’islamophobie en France, contrairement à la lutte contre le racisme, «souffre d’un manque de légitimité». Car, pour lui, politiquement, l’islamité comme motif de discrimination «ne fait pas le poids face à la thèse de l’islamité comme menace». Une situation dont il est difficile de sortir, puisque l’islamophobie est équitablement partagée par les partisans de droite et ceux de gauche : les premiers se reposent sur des arguments suprémacistes et xénophobes, les seconds sur un républicanisme assimilationniste et laïc «hostile à toute visibilité religieuse – surtout musulmane – dans l’espace public».
Le danger, pour lui, réside dans le fait que les discours islamophobes dominants recadrent et structurent les opinions, du fait qu’un certain nombre de digues idéologiques, qui atténuaient cette frénésie, se sont effondrées. Tout cela parce que «réduire les dysfonctionnements du pays à l’altérité musulmane permet à de nombreuses franges de la société et du monde politique de se déresponsabiliser». Aussi, à force de diffuser l’idée d’une menace intérieure omniprésente et conquérante, «chaque signe d’islamité est interprété comme une avancée de l’islam politique, que ce soit le voile, le burkini, la barbe ou la volonté de ne pas manger de porc à la cantine».
Plus sérieusement, le chercheur fait remarquer que les rares travaux empiriques sérieux «montrent que l’islamophobie, ainsi que le ressentiment généré depuis des décennies par la domination occidentale dans le monde musulman (…) sont des composants essentiels de la propagande des terroristes», avertit-il.
R. Mahmoudi
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