La violence en Algérie revisitée ou la vision réductrice d’une historienne tunisienne
Dans une interview au journal Le Monde, parue dimanche, l’historienne et directrice de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), basé à Tunis, Karima Dirèche, qualifie les auditions publiques de l’Instance Vérité et Dignité, lancées en novembre dernier pour recueillir les témoignages des victimes des années de plomb, et dont la deuxième phase vient de s’achever, de moment historique qui «opère comme une catharsis». Revenant sur cette période, elle juge que cette violence n’était pas le fait d’un individu ou d’un groupe d’individus, mais une «violence d’Etat», mais celle-ci n’aurait pu s’exercer avec une telle efficacité et une telle ramification dans la société sans l’existence de relais en son sein.
Elle dit aussi que le silence que générait la peur était aussi une forme de violence parce qu’il «rend passif» et «permet à la violence de s’exercer très librement». Cela dit, les gens qui se sont tus face à la violence et la répression «ne sont pas forcément ceux qui ont dénoncé», d’où la fatuité des appels à désigner individuellement les responsables de ces violences et atteintes aux droits de la personne humaine à l’époque de l’ex-président Zine El-Abidine Ben Ali.
En voulant faire le parallèle avec la situation en Algérie, l’historienne tunisienne n’a rien trouvé de mieux que de reproduire une litanie de vieux stéréotypes autour de l’épisode des années 1990 et de consacrer ensuite, poussée par le journaliste, tout le reste de l’entretien à l’Algérie. «Pour l’Algérie, lâche-t-elle d’entrée, il est clair que s’il fallait choisir entre un régime autoritaire et liberticide dit laïc (sic) et un régime porté par un mouvement ou parti islamiste, l’affaire était réglée. Pour un certain public – l’intelligentsia, ainsi qu’une partie de la classe moyenne et supérieure –, on choisissait le premier.» Elle trouve que «c’était, là, une erreur», car les mouvements islamistes, selon elle, «étaient très implantés et œuvraient beaucoup au sein des classes populaires».
D’après cette analyse, «il s’est donc produit ce hiatus avec les élites, bilingues (sic), à l’origine de ce fameux terme d’“éradicateurs” (…) Du coup, ces élites font le jeu du pouvoir autoritaire dans l’exercice de la violence d’Etat». Non seulement, cette vision réductrice ne cerne pas la complexité de la situation politique en Algérie durant cette période trouble, mais elle passe outre des paramètres déterminants dans l’émergence de l’islamisme et son basculement dans la violence terroriste.
Dans le même sillage, la chercheuse estime encore que l’Instance Vérité et Dignité tunisienne s’inspirait davantage de l’Instance Equité et Réconciliation au Maroc alors que de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale algérienne, qu’elle qualifie d’ailleurs d’«amnésie institutionnalisé», est calquée sur le modèle espagnol. Pour elle, aucun travail n’a été fait pas les sociologues et historiens algériens, y compris sur les violences coloniales, citant deux historiennes françaises comme étant les seules à avoir effectué des travaux de recherche sur cette question-là : Raphaëlle Blanche et Sylvie Thénault.
Karima Dirèche explique que la violence et la torture telles que pratiquées par la France coloniale ont été reprises par le régime postindépendance comme «un régulateur de la violence contestataire». Si on n’a pas parlé de la violence de 1988 et on n’a pas parlé de la violence des années 1990, c’est parce que, selon cette historienne tunisienne, «cela fait partie du système». Elle ignore certainement que de nombreux ouvrages et témoignages sur les événements d’Octobre 1988 ont été publiés en Algérie même, dans lesquels se sont exprimés des acteurs de premier plan, et qu’il existe des associations qui commémorent chaque année cet événement.
Au fondement de la violence en Algérie figure la question du viol. Selon Karima Dirèche, si on doit parler du viol des femmes dans les années 1990, il faudra aussi parler du viol durant la période coloniale. «Or, c’est le tabou des tabous» (sic). «Ce silence s’est complètement inscrit dans le récit national qui, en Algérie, est un récit héroïque» (re-sic). Et de conclure sur une note moralisatrice : «L’amnésie est très préjudiciable à la santé morale des Algériens.» Ceux-ci n’ont donc pas fini, «car ils n’ont pas géré l’héritage de la violence. Ni l’héritage colonial. Ni l’héritage des années 1990. Ces épisodes sont en train de s’amonceler les uns sur les autres», schématise-t-elle.
R. Mahmoudi
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