Pierre Galand à Algeriepatriotique : «Nous veillerons à l’application de la décision de la CJUE sur le Maroc»
Algeriepatriotique : Les accords d’association et de libéralisation conclus entre l’UE et le Maroc ne sont pas applicables au Sahara Occidental, a conclu la CJUE. Cet arrêt a donné lieu à des lectures contradictoires. Quelle est la vôtre ?
Pierre Galand : D’abord, il n’y a pas de lectures contradictoires. La cour a été extrêmement claire. Elle a dit que le Sahara Occidental ne fait pas partie du Maroc. Par conséquent, il n’y avait pas lieu d’un référé pour statuer sur la demande du Front Polisario puisque le Sahara Occidental ne fait pas partie du Maroc. Aussi, le Sahara Occidental a un statut séparé et distinct de celui du territoire du royaume du Maroc, un statut qui n’englobe pas le Sahara Occidental. Ce qui fait que ces accords ne sont pas applicables au Sahara Occidental. Je ne sais pas comment on peut avoir d’autres lectures d’un texte aussi limpide.
Bien que l’arrêt de la CJUE confirme la non-marocanité du Sahara Occidental, les médias marocains considèrent cette décision comme une «victoire». Comment expliquez-vous cette attitude ?
(Rire) Ecoutez, chez moi, le journal Le Soir à Bruxelles a titré le 22 décembre «Victoire éclatante pour le Polisario». Il n’y a pas matière à se tromper. Maintenant, les Marocains tentent de faire croire que cela peut être une victoire pour eux. Je pense que cela signifie que, d’une part, la Cour de justice de l’UE a clairement repris l’avis de la Cour internationale de justice qui, déjà, définissait le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui et le caractère non autonome du territoire du Sahara Occidental. D’autre part, ce que la cour ne dit pas, parce qu’elle ne veut pas remettre en cause les accords de la Commission et du Conseil européens, c’est qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause cet accord puisqu’il se limite au territoire internationalement reconnu du Maroc.
Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?
Les parlementaires européens qui suivent ce dossier avec les comités de soutien vont presser la commission de se mettre en conformité avec le jugement de la Cour du Luxembourg. Et mettre en conformité veut dire limiter les accords d’association avec le Maroc au territoire de celui-ci dans ses frontières reconnues. Autrement dit, l’accord de pêche que l’Europe a signé avec le Maroc et qui prévoit explicitement que les bateaux européens peuvent aller pêcher sur les côtes du Sahara Occidental, est invalidé par la Cour du Luxembourg. L’Europe doit en tirer les conséquences et nous veillerons à ce que ces dernières soient appliquées et que le respect du droit doit primer en Europe aussi bien pour cet accord que pour tout autre accord, comme par exemple pour les territoires occupés de la Palestine.
Pensez-vous que l’Union européenne et ses Etats membres se soumettront à la décision de la CJUE et exclure le Sahara Occidental du champ d’application territoriale des accords UE-Maroc ?
La Commission européenne était très embêtée et il suffit de voir comment Mme Mogherini s’est empressée de dire à l’ambassadeur du Maroc, dès le lendemain du prononcé de ce jugement, que l’accord agricole UE-Maroc demeure en vigueur. Oui, il demeure en vigueur pour autant qu’il respecte les limites territoriales du Maroc. C’est une action que nous pouvons poursuivre. Je suis certain qu’aussi bien du côté du Front Polisario que du côté de la solidarité, ainsi que du côté du Parlement européen, les gens vont être extrêmement vigilants et voir si cet accord est respecté et dans le cadre des frontières marocaines.
Cela veut dire beaucoup de choses. Il y a la reconnaissance de l’autodétermination, la reconnaissance que le Sahara Occidental n’appartient pas au Maroc et aussi la reconnaissance que la Commission et le Conseil européens n’avaient pas signé des accords qui incluent ces territoires d’une manière ou d’une autre et de quelque façon que ce soit. Après cela, si le Maroc estime préserver ces accords avec l’Europe dans le cadre de ce qui a été défini par la cour est une victoire, cela ne posera aucun problème.
Moi aussi je me réjouis de cette victoire (sourire).
Quel sera le sort des entreprises européennes basées sur le territoire du Sahara Occidental qui contribuent au pillage des richesses du peuple sahraoui, suite à ce jugement ?
Les entreprises installées au Sahara Occidental sont de plusieurs nationalités. Il y a des sociétés espagnoles, françaises… Leur sort sera de se mettre en conformité. S’il n’y a pas de pression de la part de l’opinion publique et des parlements, elles continueront de faire du commerce et se moqueront des frontières. Nous l’avons bien vu dans d’autres pays, notamment dans l’Est du Congo, où nous voyons des sociétés sans autorisation piller sans aucun scrupule un pays et martyriser une population.
C’est important d’avoir des jugements comme celui-là parce qu’ils recadrent les règles qui sont valables aussi bien pour les Etats que pour les entreprises. En France, je peux vous dire déjà que les amis de la République arabe sahraouie démocratique sont mobilisés et réfléchissent à la façon d’interpeler les entreprises françaises qui se trouvent actuellement sur le territoire sahraoui. Il en est de même en Espagne.
Le Conseil de sécurité de l’ONU vient d’exhorter Israël, jusque-là protégé par le veto des Etats-Unis, de cesser immédiatement toute activité de colonisation en Palestine occupée. Ce changement de cap va-t-il peser dans le dossier sahraoui ?
Il faut se féliciter qu’enfin le Conseil de sécurité des Nations unies se soit ressaisi, et ce, avant la venue au pouvoir de M. Trump qui a, semble-t-il, d’autres solutions concernant ce problème de la Palestine et de toute la région d’ailleurs. Espérons maintenant qu’il ait des conséquences et que les Etats du monde entier en tirent les conséquences. Surtout que toute relation avec Israël se limite à l’espace internationalement reconnu par les frontières de 1967.
Mon vœu est que toutes ces contributions, soit celle de l’ONU dans la question de la Palestine ou celle de la Cour du Luxembourg dans la question du Sahara Occidental, participent à élaborer un droit positif et constructif de ce qui peut être la coexistence pacifique entre les Etats. Nous voyons bien aujourd’hui dans quelle mesure le monde est bousculé dans tous les sens et combien de souffrances subissent les populations en Afrique, en Asie ainsi qu’au Proche-Orient.
Je crois qu’après ce recadrage, nous pouvons espérer une application du droit international tant sur les plans politique, économique, commercial et juridique bien entendu. Pour moi, c’est une bonne fin d’année dans la mesure où c’est un signe d’espoir pour le peuple palestinien et un signe d’espoir également pour le peuple sahraoui. J’ai toujours dit qu’il y a une centralité palestinienne et une exemplarité sahraouie.
Je crois que pour toutes les populations du pourtour méditerranéen, il est important que la nouvelle année soit un moment plus positif pour tous les peuples de nos régions et que les peuples des deux rives de la Méditerranée trouvent des solutions aux problèmes palestinien et sahraoui, ainsi qu’à ce qui se passe en Syrie et en Libye, et ce, dans le cadre d’une coopération réciproque au profit de l’ensemble des populations qui, aujourd’hui, se retrouvent confrontées à des guerres et à des conditions sociales criantes.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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