Un ex-ambassadeur de Belgique à Damas : «L’Occident a voulu installer un régime islamiste en Syrie»
L’ex-ambassadeur de Belgique à Damas, Philippe Jottard, estime dans une tribune rendue publique récemment que la politique de changement de régime en Syrie menée depuis 2011 par l’Occident, de concert avec les pays du Golfe et la Turquie, est un échec patent. Pour lui, «l’élection-surprise de Donald Trump annonce aussi un abandon de cette politique, déjà d’ailleurs amorcée par Obama dans sa dernière période avec la priorité donnée à la défaite de Daech». Le diplomate français ajoute que «si François Fillon est élu, cinq des six membres permanents du Conseil de sécurité ne seront plus favorables à la rébellion syrienne».
Regrettant fortement que les Européens, notamment les Français et les Britanniques, aient pratiqué «une politique émotionnelle à la pointe de la lutte contre Al-Assad et se soient également alignés sur les pays du Golfe pour des raisons mercantiles», Philippe Jottard se dit, par ailleurs, persuadé que la révision des relations avec les monarchies pétrolières qui ont soutenu le salafisme ou les Frères musulmans va aussi s’imposer. Aussi appelle-t-il avec insistance les Européens à faire preuve de «pragmatisme».
Philippe Jottard fait aussi partie de ceux qui pensent que l’Europe paie actuellement le prix lourd d’une analyse erronée de la crise syrienne. Et là, il fait allusion, bien évidemment, à la crise migratoire et aux nombreux attentats qui se sont produits en Europe occidentale durant ces trois dernières années. «Au lieu de jeter de l’huile sur le feu en appelant très rapidement, comme aussi Clinton, au renversement d’Al-Assad et de rendre de ce fait la négociation impossible, la France et la Grande-Bretagne auraient été mieux avisées de promouvoir l’apaisement et la médiation», conseille-t-il.
Pourquoi les Occidentaux se sont-ils trompés aussi gravement sur la Syrie ? Pour le diplomate français, les analyses erronées des Occidentaux résultent notamment de la méconnaissance de la solidité du pouvoir syrien et de sa détermination absolue à se battre pour sa survie ainsi que la sous-estimation de ses soutiens extérieurs. Les Européens ont été, par ailleurs, persuadés, dit-il, que la séquence entamée à Tunis et au Caire avec la chute de Ben Ali et de Moubarak allait se poursuivre inéluctablement à Damas. «Rejeter la faute de la tragédie uniquement sur la répression brutale des manifestations sert à masquer les erreurs des politiques occidentales et d’une opposition sunnite et de ses parrains étrangers dont l’intransigeance a conduit à la militarisation et l’islamisation du soulèvement», estime M. Jottard.
Selon lui, les Occidentaux ont péché également par le fait qu’ils n’avaient pas de stratégie cohérente et qu’ils ne disposaient pas d’une alternative convaincante à Al-Assad vu l’absence de partenaires fiables à la fois sur le terrain et dans une opposition extérieure peu représentative et très divisée. «L’alliance à des Etats, dont l’objectif est l’installation d’un pouvoir islamiste à Damas par le soutien aux groupes les plus extrémistes, est une autre faiblesse majeure de la politique occidentale. La rébellion, soi-disant modérée pour autant qu’elle ait constitué une réalité autre qu’embryonnaire, n’a jamais eu de chance de l’emporter, même si elle avait été aidée plus tôt et davantage par les Occidentaux, à défaut d’une invasion et d’une occupation du pays par leurs armées, ce dont il n’a jamais été question», fait-il remarquer.
Quid de la suite des événements ? Philippe Jottard se dit convaincu que Bachar Al-Assad a désormais toutes les cartes en main et qu’il est donc appelé à négocier en position de force lorsque le moment viendra. «La contre-insurrection menée impitoyablement par Damas visant à amener les civils à rejeter les rebelles et à persuader la majorité de la population, qui aspire avant tout à la paix et la stabilité, de préférer Al-Assad aux islamistes, commence à porter ses fruits», assure le diplomate français.
D’après lui, l’opposition syrienne n’a réussi à remporter que la bataille de la propagande «avec comme conséquence une opinion occidentale mal éclairée sur les enjeux d’un conflit d’une complexité rare et des décisions politiques à court terme, car inspirées par l’émotion». Aussi M. Jottard attire-t-il encore une fois l’attention sur le fait que «l’indignation des médias et des chancelleries en Occidentaux ne peut dispenser d’une analyse objective basée sur une information impartiale et non manichéenne».
Khider Cherif
Erratum : Philippe Jottard était ambassadeur de Belgique et non de France. Nous nous excusons auprès de nos lecteurs et du concerné pour cette erreur.
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