Dieu vous aveuglera et vous vous en irez (IV)
Par Ali Farid Belkadi – Les possessions françaises dans le nord de l’Afrique recevront la dénomination officielle d’Algérie le 14 octobre 1839 (Archives Vincennes, 1 H 64. Dossier 1).
La désignation «Algérie»
Les possessions françaises dans le nord de l’Afrique recevront la dénomination officielle d’Algérie le 14 octobre 1839 (Archives Vincennes, 1 H 64. Dossier 1. Province d’Alger. septembre-novembre 1839). Auparavant, les Français utilisaient le générique Afrique pour nommer l’ancienne Régence d’Alger.
Les Français ne se sont pas vraiment cassé la tête, car cette appellation Algérie est scrupuleusement empruntée au nom arabe de la ville édifiée par Bologhine Ibn-Ziri, le fondateur de la dynastie des Zirides. Alger-des-Béni-Mezghenna fut bâtie en 960 sur les ruines de l’ancienne cité Icosium phénicienne. Une ancienne agglomération, appelée Bartas qui s’élevait à proximité du site, interfère entre ces différents noms de la ville. Le géographe Al-Bakri écrit : «La ville s’appelle Djazaïr-Béni-Mezghenna (Les Îles de la tribu des Mezghenna). La baie d’Alger a attiré, selon le mythe, Ulysse et ses compagnons.
Selon Ibn Khaldoun, «(…) Bologhine Ibn-Ziri fut autorisé par son père à fonder trois villes, l’une sur le bord de la mer et appelée Djazaïr-Béni-Mezghenna (les îles des enfants de Mezghenna), et l’autre, située sur la rive orientale du Chélif et appelée Miliana ; la troisième porta le nom des Lemdiyya (Médéa), une tribu sanhadjienne. Bologhine fut investi par son père du gouvernement de ces trois places, qui sont encore aujourd’hui les villes les plus importantes du Maghreb central» (Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique).
L’Afrique
On notera cependant que le nom d’Afrique est toujours utilisé pour désigner le pays nouvellement conquis par la France. Bugeaud écrit dans une note datée du 2 mai 1843 : «Il faudrait cent mille hommes, parce qu’il faut vaincre l’Afrique, la garder, la coloniser et nous y installer à toujours.» Archives de Vincennes, 1H 90. Dossier 1, Province d’Alger (mai 1843).
L’outrage fait par un dey turc décadent à un consul insolent fut le sujet du conflit armé disproportionné déclenché par le roi de France pour des intérêts économiques dissimulés.
Le docteur Ferdinand-Désiré Quesnoy définit l’invasion française en ces termes : «La guerre d’Afrique ne ressemble à aucune autre ; ce n’est point une guerre dans laquelle il suffit d’établir sa force militaire pour dicter à l’ennemi des conditions qui seront le plus souvent respectées et observées ; c’est plutôt une guerre de race dans laquelle le sentiment religieux intervient avec une supériorité et une puissance qui font tout entreprendre et tout braver.»
Les Algériens menèrent une guerre défensive juste.
Saint Augustin, mort en 430, qui exerce jusqu’à nos jours une grande influence sur le développement de la pensée chrétienne, écrivit quelque douze siècles plus tôt : «Sont dites justes, les guerres qui vengent les injustices.»
La résistance menée par le chérif Boubaghla contre le corps expéditionnaire français fut juste et exemplaire.
Guy de Maupassant résume ainsi la situation créée par la présence française en Algérie : «Notre système de colonisation consistant à ruiner l’Arabe, à le dépouiller sans repos, à le poursuivre sans merci et à le faire crever de misère, nous verrons encore d’autres insurrections.» (Au Soleil 1884, Guy de Maupassant, éd. Pocket, 1998, Bou-Amama, p. 44).
Le projet visant au démantèlement de l’Algérie a été ourdi pendant des mois par les généraux français, aussitôt la prise d’Alger. S’ensuivra l’avilissement de la société musulmane, corollaire féroce de la politique de peuplement européen. Il fallait briser l’équilibre économique et social algérien qui s’opposait à l’expansion française dans le pays.
A. Bernard et Lacroix (Evolution du Nomadisme en Algérie, p. 292), notaient en 1908 : «Nous avons détruit les forces qui pouvaient nous résister, mais nous avons détruit du même coup celles sur lesquelles nous pouvions nous appuyer. Nous avons fait passer sur toute l’Algérie une sorte de rouleau compresseur. Nous n’avons plus en face de nous, selon l’expression de M. Jules Cambon, qu’une poussière d’hommes, sur laquelle nous sommes le plus souvent sans action.»
C’est de cette «poussière d’hommes» qu’est né le mouvement de libération national du 1er novembre 1954, succédant au 8 mai 1945. Cette dernière date, qui fut adoptée prématurément par des historiens de la révolution algérienne comme point de départ obligé de la lutte de libération 1954/1962, réduit considérablement le champ du conflit, en retranchant de l’histoire contemporaine de l’Algérie les massacres et les cruautés qui ne cessèrent jamais depuis le débarquement français sur la plage de Sidi Fredj, au cours du mois de juin 1830. Car, réduire le début de la guerre d’Algérie à ces seuls évènements du 8 mai 1945 et à 1954/1962 revient à fractionner le problème algérien en séditions dérisoires et en vaines insurrections.
Cet équarrissage de la belligérance en intervalles insurrectionnels distincts : insurrection de Boumaza, insurrection de Boubaghla, insurrection de 1871, insurrection du 8 mai 1945, etc., avait pour but de nier la permanence du conflit, sans cesse entretenu par les chérifs.
Lorsque s’estompa la lutte des chérifs, apparut la guerre séculière, faîte aux Français par des révolutionnaires modernes, pour leur rappeler les valeurs de 1789, niées en Algérie.
Spoliations, violences, illégalités judiciaires
Le journal La Presse du samedi 6 janvier 1855, à la page 1, écrit : «Quant aux faits de spoliations pratiquées sur la race indigène par escroqueries, violences, illégalités judiciaires et administratives, ils sont sans nombre. Gens de guerre, gens d’administration, gens de finances s’en disputaient tellement la curée avec la population civile, que ces loups cerviers de la spéculation sur terres et maisons se renvoyaient, les uns aux autres, les gracieuses épithètes de banqueroutiers. Le chiffre seul des spoliations, sous prétexte d’expropriation pour cause d’utilité publique, s’est porté, uniquement pour la ville et banlieue d’Alger, au chiffre énorme de cent vingt-cinq mille francs de rentes. Cette somme n’a jamais été payée aux expropriés, dont les enfants ont été vus tendant la main aux nouveaux enrichis et s’asseyant au seuil de leurs anciennes demeures. Dans ce système, on alla, pour tracer des chemins, jusqu’à jeter aux terrassements les cadavres des cimetières, ce qui donna lieu à cette lamentable accusation d’un indigène : Nos vainqueurs ne nous laissent plus ni un lieu pour vivre ni un lieu pour mourir.»
«Nous savons que vous êtes très forts, que nous ne pouvons rien contre vous, mais Dieu vous aveuglera un jour et vous vous en irez.» (un marabout algérien aux Français).
Ali Farid Belkadi
Historien, anthropologue
(Suite et fin)
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