Le politologue yéménite Ali Al-Khowlani à Algeriepatriotique : «L’Arabie Saoudite finira par faire appel à l’Algérie» (I)
Algeriepatriotique : Après quatre ans de conflit entre les Houthis et l’Arabie Saoudite et ses alliés, la situation au Yémen est dans l’impasse. Comment entrevoyez-vous une issue à cette crise ?
Ali Al-Khowlani : Il n’y a pas de conflit entre le Yémen et l’Arabie Saoudite mais une agression saoudienne contre le Yémen qui dure depuis plus de cinquante ans, et qui est devenue plus ouverte et plus brutale ces deux dernières années, et plus précisément depuis le déclenchement de l’opération dite «Tempête décisive» le 26 mars 2015. C’est pourquoi l’issue à cette crise devrait être, à mon avis, appréhendée comme suit :
Premièrement : l’arrêt de l’agression saoudienne (opérations militaires) ; levée de l’embargo aérien, maritime et terrestre, pour permettre l’entrée des approvisionnements en produits alimentaires et en médicaments ; relancer le processus de dialogue inter-yéménite impliquant les acteurs politiques les plus influents et les forces en présence. Un tel dialogue pourrait se tenir à Sanaa, à Aden ou dans n’importe quel département du Yémen ou alors, ce qui serait mieux, dans un pays qui n’est aucunement impliqué dans l’agression contre le Yémen, comme l’Algérie ou le Sultanat d’Oman, ou dans un autre pays qui n’est pas directement impliqué dans cette agression comme les Etats-Unis, la France ou l’Allemagne. Quatrième point : l’Arabie Saoudite et ses alliés s’engageraient à reconstruire le Yémen et, enfin, parvenir à un accord sur une période de transition pour la préparation des élections locales, législatives et présidentielles.
Deuxièmement : organiser des négociations yéméno-saoudiennes à Sanaa, Riyad, Alger ou dans un autre pays accepté par les deux parties. A travers ces négociations, chaque partie exposera ce qu’elle considère être un danger ou une menace venant de l’autre partie. Autrement dit, il faudrait reconstruire la confiance entre les deux pays voisins pour leurs intérêts et l’intérêt de l’ensemble de la région. Les deux pays devraient alors signer un traité de bon voisinage et de non-agression mutuelle, comprenant aussi la non-ingérence de chacun des deux pays dans les affaires de l’autre. Enfin, il faudra évidemment des garanties régionales et internationales pour tout accord entre les deux pays.
Comment jugeriez-vous la position algérienne par rapport à cette crise ?
Il faut d’abord souligner que l’Algérie est une grande puissance régionale et très influente aux plans arabe, africain et international. Un pays qui a des constantes et des principes et qui sait ce qu’il veut. Elle a en plus une longue expérience diplomatique dans le traitement des crises politiques : Libye, Mali, Syrie, Irak-Iran, Erythrée-Ethiopie, etc.
L’Algérie refuse toute ingérence dans les affaires des autres pays, et sa Constitution interdit l’envoi de forces algériennes hors de ses frontières. Elle soutient toutes les causes justes dans le monde, dont principalement les causes palestinienne et sahraouie. Aussi l’Algérie a-t-elle toujours été aux côtés des peuples opprimés et luttant pour leur droit à l’autodétermination, et refuse systématiquement le recours aux armes ou à la violence comme solution aux crises politiques internes ou entre pays, en privilégiant la voie du dialogue, en partant du principe que la violence n’engendre que la violence et qu’en définitive tout le monde sera obligé de s’asseoir à la table de négociation, mais seulement après avoir subi d’incalculables pertes. La perte la plus importante, dans ce cas, est que la violence engendre des rancœurs durables, notamment entre pays voisins, et une instabilité chronique et une décomposition sociale dans le cas des conflits internes. Les seuls bénéficiaires sont généralement les organisations terroristes, telles que Daech ou Al-Qaïda, qui trouvent dans le chaos leur terrain fertile pour leur développement et leur expansion. C’es ainsi que l’Algérie a adopté une position responsable sur ce qui se passe au Yémen. Elle s’est, dès les premiers jours, opposée à l’agression saoudienne et a affirmé à maintes occasions que l’usage des armes n’était pas la solution, et que seule la voie du dialogue politique était susceptible de mettre fin à la crise. Autrement dit, la solution est entre les mains des Yéménites eux-mêmes et ne peut être dictée de l’étranger et mise en œuvre par un déploiement militaire. L’Algérie a proposé plusieurs initiatives pour mettre fin à la crise au Yémen, en offrant ses bons offices pour accueillir tous les protagonistes autour d’un dialogue à Alger, tout en mettant en garde que la poursuite de l’agression contre le Yémen ne profitera qu’aux groupes terroristes.
Aujourd’hui, après près de deux ans d’agressions, il s’est avéré que l’approche algérienne était juste : l’Arabie Saoudite s’enlise après s’être saignée financièrement et après avoir perdu son prestige dans le monde. Elle est même aujourd’hui menacée dans son existence comme Etat, et cherche à sortir de ce bourbier yéménite pour sauver la face. Je pense qu’elle finira par faire appel à l’Algérie comme médiateur pour l’aider à s’en sortir dès lors que l’Algérie entretient de très bonnes relations avec tous les protagonistes de la crise yéménite. C’est d’ailleurs le vœu de l’ex-président Ali Abdallah Saleh qui souhaite voir l’Algérie abriter un dialogue inter-yéménite et un autre entre les pays belligérants. En tant que partie neutre, l’Algérie a comme souci l’intérêt des deux pays, et je pense que les échanges de visites entre l’Arabie Saoudite et l’Algérie confortent ma thèse. Aussi les parties impliquées dans l’agression se sont-elles enfin rendu compte de la justesse de la vision algérienne, selon laquelle les seuls bénéficiaires de l’agression sont les groupes terroristes Daech et Al-Qaïda. Pour preuve, ces deux organisations occupent aujourd’hui une bonne partie du sud du Yémen, notamment les provinces d’Aden, Hadramaout, Abine et Lahedj.
Dans l’un de vos articles, vous soutenez que l’intervention militaire saoudienne au Yémen servait essentiellement l’entité sioniste. Pouvez-vous nous expliquer dans quel sens ?
En fait, tout ce que fait aujourd’hui l’Arabie Saoudite dans le monde arabo-musulman sert l’intérêt de l’entité sioniste. Et le Yémen fait partie des pays ciblés par ce plan. Comment cela ? Premièrement : il faut préciser que de nombreux rapports publiés par des ONG arabes ou occidentales, et aussi des déclarations de nombreux officiels dans le monde, affirment que c’est bien l’Arabie Saoudite qui a enfanté et financé Al-Qaïda, Daech et tous leurs dérivés, à travers sa doctrine wahhabite extrémiste, avec la complicité de certains services de renseignements occidentaux, notamment américains. C’est pourquoi ternir l’image de l’islam aux niveaux arabe et mondial et le montrer comme une matrice de l’extrémisme et du terrorisme ne peuvent que faire le jeu de l’entité sioniste.
Deuxièmement : les tentatives saoudiennes de détruire l’Etat-nation dans le monde arabe et d’y semer le chaos et les guerres civiles, en vue de le démanteler en petites entités et Etats à caractère ethnique, confessionnel, doctrinal ou tribal, qui vont s’entredéchirer indéfiniment, profitent indiscutablement à l’entité sioniste qui cherche à imposer son hégémonie dans la région afin qu’il n’y ait plus de menace contre son existence qui puisse venir de quelque puissance arabe nationaliste que ce soit qui déciderait de réorienter le cap vers la principale cause de tous les Arabes et musulmans, à savoir la cause palestinienne.
C’est pour cette raison que l’Arabie Saoudite conduit une alliance militaire contre son voisin du Sud, en prétextant tantôt la lutte contre l’expansionnisme chiite de l’Iran et tantôt sa volonté de rétablir le président «légitime» au Yémen. Alors qu’une telle alliance aurait dû être dirigée pour porter secours à nos frères en Palestine qui souffrent le martyre avec l’occupant sioniste, ou à nos coreligionnaires qui se font massacrer en Birmanie, ou pour restituer les îles émiraties occupées par l’Iran, ou pour frapper directement l’Iran… Mais les promoteurs de cette alliance ont préféré détruire le Yémen et son armée, et commettre un véritable génocide contre sa population, dans l’objectif de le partitionner en petits émirats. Tout cela sert, comme vous le voyez, les intérêts de l’entité sioniste.
L’intervention indirecte en Syrie sous prétexte de renverser le régime «dictatorial» d’Al-Assad et le soutien apporté aux organisations terroristes là-bas, à l’image du Front de la Nosrah, de Daesh et de leurs dérivés servent les intérêts de l’entité sioniste. La même chose en Libye et en Irak. Au Sahara Occidental, l’Arabie Saoudite a financé la construction du mur de la honte qui sépare le Maroc du Sahara Occidental, avec une expertise sioniste. Actuellement, l’Arabie Saoudite soutient le régime marocain dans l’oppression qu’il exerce contre le peuple sahraoui, à travers notamment l’ambassadeur saoudien à Rabat qui a exprimé la volonté de l’Arabie Saoudite d’investir dans les territoires sahraouis occupés. Une déclaration similaire a été faite par le conseiller du roi saoudien, lors de sa visite du barrage d’«En-Nahda» en Ethiopie, chose qui, comme on l’imagine, constitue une menace pour la sécurité nationale de l’Egypte. Cela aussi sert les intérêts de l’entité sioniste.
Aussi les «Panama Papers» ont-ils dévoilé le financement de la campagne électorale de Benyamin Netanyahu en 2015 par le roi saoudien Salman Ben Abdelaziz. On peut citer, dans le même sillage, la visite effectuée, en juillet dernier, par l’ex-officier des renseignements saoudiens Anouar Ashqi à l’entité sioniste à la tête d’une délégation composée d’universitaires et d’hommes d’affaires, qui a rencontré des responsables sionistes et des membres de la Knesset. Cet officier a fait, sur place, les éloges du Premier ministre sioniste, en déclarant : «Nous avons besoin d’un homme comme Netanyahu parce que c’est un homme pragmatique…»
Nous constatons également qu’il y a une parfaite symbiose sur la question du nucléaire iranien. L’Arabie Saoudite fait même la promotion d’un discours présentant le danger de l’Iran sur l’islam et les musulmans comme étant plus important que celui que représente l’entité sioniste. Plus grave encore, le prince saoudien Al-Walid bin Talal a déclaré au quotidien koweitien Al-Qabas que son pays devait «réviser ses positions politiques et élaborer une stratégie pour lutter contre l’influence iranienne croissante sur les pays du Golfe, et ce par la signature d’un traité de défense commune avec Tel-Aviv». Cette harmonie des positions entre l’Arabie Saoudite et l’entité sioniste se manifeste également dans le classement du Hezbollah comme organisation terroriste. Tant d’autres exemples attestent que l’Arabie Saoudite applique, en effet, à la lettre l’agenda de l’entité sioniste dans la région arabe.
Entretien réalisé par R. Mahmoudi
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