Une contribution du Dr Arab Kennouche – L’année 2017 et les sept plaies de l’Algérie
L’Algérie arrive à une période encore cruciale en cette année 2017 : élections parlementaires sur fond de récession économique, scène internationale en ébullition, gouvernance politique vieillissante, problème de succession et grondement social contestataire d’une loi de finance présumée salvatrice pour l’économie nationale dans l’année en cours, les écueils sont nombreux et risqués pour une présidence à bout de souffle. Même si le gouvernement Sellal semble avoir bien négocié ce virage dangereux de l’année 2016, la marge de manœuvre des décisions à venir reste réduite si l’on n’opère pas des restructurations majeures dans l’appareil de production nationale afin d’éviter un nouveau recours massif à l’endettement extérieur. Cet endettement, qui est minimisé en termes de risque, semble inévitable à long terme pour maintenir le ratio croissance économique et satisfaction de la demande interne.
L’Algérie est-elle condamnée à ne vivre que du pétrole et du gaz ? Après plus de cinquante ans d’indépendance, il ne semble pas que nous soyons en mesure de nous sortir de cette dépendance énergétique qui fragilise la situation politique du pays. L’Algérie de 2017 est bel et bien embourbée dans un sous-développement qui ne dit pas son nom, alors que d’autres nations bien moins dotées qu’elle en ressources naturelles et humaines s’en tirent bien mieux : quelles sont donc ces plaies qui se ravivent devant nous à chaque échéance électorale comme des fléaux encore vivaces dans le corps de la nation algérienne ? A l’heure où la Corée du Nord, pas plus grande que deux ou trois wilayas algériennes, se targue de pouvoir lancer des missiles intercontinentaux, il est temps de revoir nos faiblesses.
Plaie n°1 : Une profonde faiblesse de l’Etat institutionnel et de droit, tamisée par une hypertrophie des appareils de sécurité, forcés d’agir en dehors de leurs prérogatives et à leur détriment. C’est effectivement en renforçant l’Etat de droit que l’on parvient à renforcer l’Armée et la cohésion sociale, et même les intérêts privés des différentes familles politiques. Dans le cas contraire, se développe un système de luttes intestines fondé essentiellement sur des intérêts privés parfois antinationaux. D’où la deuxième plaie d’Algérie.
Plaie n°2 : L’Algérie souffre de luttes intestines d’origine clanique, familiale, régionale plus qu’ailleurs. De simples tiraillements, elles passent désormais pour être la clef de lecture des décisions politiques stratégiques au détriment de l’intérêt général. Ces luttes, tel un cancer, gangrènent toutes les institutions étatiques ravalées à un rang instrumental de légitimation clanique. Au lieu d’une action nationale, d’une stratégie nationale, dont les effets seraient supérieurs à ceux de visées claniques «en vue d’un Etat algérien prospère», les élites algériennes agissent sur le court terme pour le compte d’intérêts souvent privés. D’où la polarisation du jeu politique en dehors de l’intérêt supérieur de la nation. Et la plaie n°3 : le développement effarant de la corruption.
Plaie n°3 : Il existe partout dans le monde des pratiques massives de corruption. Mais en Algérie, ce phénomène s’est profondément institutionnalisé tant au niveau de l’Etat que de la société. Sans parler d’anomie sociale, on se rend compte que tout le système éducatif souffre désormais de cette pression corruptive érigée en mode d’organisation économique de la société. En arrière-fond, la corruption née des luttes intestines au sein du pouvoir gangrène l’ensemble des sphères publiques et privées où ont lieu les échanges sociaux : armée, université, hôpitaux… D’où la faiblesse des entreprises économiques algériennes, mais aussi de toutes les institutions du privé et du public. Jusque dans certains corps militaires.
Plaie n°4 : Une armée qui souffre de ne pas vouloir s’ériger en complexe militaro-industriel. L’Armée nationale populaire (ANP) reste encore trop impliquée dans le jeu politique du pouvoir institutionnel d’origine clanique sans pour autant en tirer de dividendes. Pourtant, l’ANP est un rempart solide en Algérie et c’est la référence identitaire majeure de tout algérien. Mais au lieu de centrer sa communication sur des enjeux de savoir technologique en direction de la jeunesse et de l’université, elle entretient des liaisons dangereuses avec des groupes de pouvoir habitués à l’instrumentalisation politique d’une armée populaire. Ecartelée entre sa mission cruciale de défense de la nation et son implication forcée dans le jeu politique, l’ANP de ce siècle ne parvient toujours pas à quitter cette fonction de police qu’on veut lui attribuer malgré elle. Assise sur un sous-sol immensément riche, il lui incombe de se propulser sans atermoiements dans l’ère des nouvelles technologies et à un stade industriel.
Plaie n°5 : Les déboires existentiels de l’ANP ne sont encore rien devant la perte de confiance généralisée de la part de la société algérienne envers tout processus politique, toute décision institutionnelle. Si l’on peut admettre que le traitement social de la pauvreté a été acceptable durant la présidence Bouteflika, il s’est fait dans l’anarchie et surtout en rupture avec le besoin du peuple à communiquer de façon responsable. La rupture de confiance s’est manifestée dans un jeu pervers de revendication de la part des plus démunis, et de satisfaction ou marchandage social, voire d’enchères toujours plus grandes entre un peuple presque acheté et une caste politique passée maître dans la gestion de la misère sociale au quotidien. La rupture du lien social entre élites et peuple se transformant en vaste souk préélectoral et en politique de l’autruche non moins suicidaires.
Plaie n°6 : L’Algérie souffre donc d’une forme de chaos organisé, mais presque structurant, car formé de divers accords, marchandages et arrangements conjoncturels entre un pouvoir politique privatisé autant que faire ce peut, et une société tenue en haleine par les cours du pétrole. Les grands corps de sécurité veillent à ce que tout débordement soit évité : en réalité, l’ordre repose sur un vaste marchandage fictif fait de calculs à court terme, et de compromission sur le dos des institutions étatiques, ainsi que de ses représentations économiques, qui renvoient dos à dos et le peuple et ses élites. Il est évident que l’Algérie ne s’écroulera pas, étant riche, et finalement peu peuplée, mais ce désordre organisé, conjugué au chaos périphérique instauré par l’Occident sur son sahel peut se révéler fatal, surtout que l’islamisme takfiriste reste bien implanté dans les esprits en Algérie. D’où cette plaie de l’islamisme radical, vecteur de marchandage et de promotion sociale incontournable.
Plaie n°7 : Vaincu militairement et pas près de se relever, l’islamisme radical demeure cependant un puissant fonds de commerce politique en Algérie. L’action des partis islamistes algériens en direction de la société et même du pouvoir s’inscrit bien plus dans le cadre de l’accaparement de gains économiques que dans la revendication idéologique pure. On a habitué le peuple à marchander son statut social, à le concrétiser en monnaie sonnante et trébuchante, comment donc ne pas songer aux profits qu’il tirerait de ce chaos périphérique infesté de terroristes créés dans les confins de l’Algérie ?
Dr Arab Kennouche
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