Une contribution de Youcef Benzatat – Incitations à l’émeute : goumiers d’hier, goumiers d’aujourd’hui
Goumiers, telle était l’une des appellations attribuées autrefois par l’occupant étranger à ses supplétifs recrutés parmi ses indigènes, aux côtés des harkis et de tout autre citoyen en perte du rapport au réel induite par une misère morbide et une déchéance mentale qu’accentue toute perte de repères dans un monde colonial sadique, cynique et cruel. Goumiers d’hier, goumiers d’aujourd’hui. Béjaïa en feu, Béjaïa en flammes ! Une escarmouche menée par des goumiers d’un nouveau genre que manipule une main étrangère, dénoncent scandalisés «les bonnes consciences». «Lutte de souveraineté», répliquent les adeptes du Qoum. Il serait temps, disent-ils, de se lever comme un seul homme et brandir le poing en hurlant «barakat !» (Ça suffit !). Ameuter, ameuter, ameuter sans discontinuer jusqu’à mettre le feu et détruire les lieux. Verser le sang et semer le chaos, la lumière jaillira du néant et la souveraineté régnera pour l’éternité ! On l’aura su depuis le tournant de l’indépendance nationale, si tel était le destin de toute révolte violente.
On ne peut que constater amèrement pour l’occupé, qu’un occupant ne peux qu’en chasser un autre si l’occupé demeure toujours vulnérable. «Il ne suffit pas qu’un peuple inscrive la liberté dans sa Constitution pour être réellement un peuple libre. Encore faut-il qu’il soit un peuple éclairé, car un peuple ignorant, même avec une Constitution libre, est toujours dans la servitude», soupira Montesquieu devant l’ignorance dans laquelle était plongé son peuple le long de la nuit obscure qui précéda l’une des plus illuminées des révoltes que l’humanité ait produites.
La main étrangère, mythe ou réalité ? Mythe, disent les uns. Car la dictature de nos occupants actuels a besoin de cet alibi implacable pour neutraliser toute tentative qui viendrait menacer son royaume, confisqué des mains des derniers souffles agonisants des braves baroudeurs qui ont bouté hors du territoire national les hordes de barbares qui occupaient jadis nos terres. Réalité, s’insurgent les sceptiques. Car les hordes de nouveaux barbares qui convoitent encore nos terres sont aussi nombreuses et plus coriaces qu’autrefois. Pour le commun des silencieux, un combat de dupes se déroule insolemment pour la quête d’une chimère souveraineté, tantôt islamiste, tantôt berbériste, toutes deux appuyées sur les béquilles d’une raison extérieure au destin de notre peuple pour ne pas l’amalgamer imprudemment d’avec cette main étrangère si vraie et si fausse à la fois.
Il aurait suffi que l’on sache inculquer à ces millions de jeunes Algériens désœuvrés et abandonnés de tous, et en premier des intellectuels, des journalistes, des militants des causes périphériques et autres causes domestiques, le sens de la citoyenneté et de la République, qui devraient à l’image de Montesquieu éclairer les consciences et semer l’esprit de la révolte constructive et bienveillante, la véritable révolte, celle qui devrait faire jaillir la lumière et défaire les chaînes. Non pas celle qui avance à reculons, mais celle qui mène aux cimes de la liberté les plus inaccessibles.
Youcef Benzatat
Comment (44)