Washington va remplacer sa stratégie de guerres par l’ingérence économique
Le Groupe sur la stratégie du conseil atlantique au Moyen-Orient, dirigé par Madeleine Albright (ancienne Secrétaire d’Etat) et Stephen Hadley (ancien conseiller de sécurité nationale), a publié un rapport intitulé «Rapport Albright-Hadley : une nouvelle stratégie pour le Moyen-Orient». A partir d’un état des lieux peu reluisant pour les Etats-Unis, le rapport propose une nouvelle approche stratégique pour corriger la politique américaine qui a créé une situation de chaos et de guerres dans plusieurs pays de la région. L’objectif déclaré est de réduire ce que le rapport qualifie faussement de «guerres civiles» et hypocritement d’«alléger les souffrances humaines», ainsi que de se débarrasser de Daech.
Avec le même cynisme, le rapport appelle dans le même temps les acteurs régionaux à travailler avec le soutien des «forces extérieures» pour valoriser les ressources du pays en mobilisant les jeunes et les femmes en particulier dont les talents sont inexploités, de l’avis de l’équipe d’Albright. C’est là qu’apparaît en toile de fond l’ingérence. Après l’ingérence politique, place à l’ingérence économique dans les affaires des pays du Moyen-Orient, sous couvert du soutien des Etats-Unis et de leurs partenaires occidentaux, appelé «pleine coopération des puissances étrangères avec les acteurs régionaux». Le rapport passe en revue les principaux pays concernés et commence par la Syrie, où, dit-il, «nous devons accélérer la défaite de Daech et mettre en œuvre une solution politique dans un processus de réconciliation et de reconstruction».
L’équipe Albright mise sur l’action locale des «groupes civiques», considérant comme durable l’effondrement de l’Etat. Elle admet que l’unité du pays est une donnée de base et recommande au gouvernement syrien de «reconfigurer» le territoire pour fournir une plus grande autonomie et des ressources qui permettent aux provinces et aux gouvernements locaux d’assumer davantage la responsabilité de leurs propres citoyens, et de leur donner une plus grande liberté pour décider de l’avenir de leur pays. Concernant l’Irak, une fois Daech défait, le gouvernement devrait, selon Albright, «se concentrer à nouveau, avec un soutien externe et un puissant encouragement, sur la réconciliation et la stabilisation». Pour cela, il faut, estime l’équipe Albright, «rétablir un régime civil efficace et stimuler la reprise économique dans les zones libérées». Comme dans le cas de la Syrie, souligne le rapport, il faudra «un nouveau modèle de gouvernance, fournir une plus grande autonomie et des ressources aux provinces et aux gouvernements locaux». Mme Albright appelle les «acteurs extérieurs» à faire pression sur le gouvernement à Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan pour résoudre les différences entre eux.
Le rapport aborde ensuite la situation en Libye, en soulignant la nécessité pour les pays européens de financer un gouvernement unifié. Le rapport fait part du souhait de voir «les pays du Moyen-Orient impliqués dans le soutien au gouvernement de réconciliation nationale, plutôt qu’aux factions tribales». Quant au Yémen, selon le rapport, «les acteurs étrangers devraient persuader l’Arabie Saoudite d’accorder la priorité à une solution politique au conflit». Ce revirement par rapport à la politique de soutien accordé par Washington, dès le début du conflit, à la guerre déclenchée par la coalition arable dirigée par l’Arabie Saoudite contre le Yémen, est appuyé par le constat fait par l’équipe Albright que, «comme la Syrie, le Yémen connaît une catastrophe humanitaire».
Le rapport Albright traduit-il un changement de stratégie ou est-ce une nouvelle phase d’un même plan ? La guerre et les ingérences militaires des Etats-Unis au Moyen-Orient ne semblent plus être considérées comme un moyen de la politique américaine, qui paraît vouloir maintenant privilégier plutôt la cessation des conflits armés et l’action sur le plan de la gouvernance et du développement économique. Cela ne signifie pas un retrait des Etats-Unis et des pays occidentaux, mais une autre forme d’ingérence, par le biais de l’économie et de la gouvernance locale.
Houari Achouri
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