Divergences doctrinaires et guerre de leadership : l’impossible alliance islamiste
Grisés par le succès facile de la fusion de cinq partis (FJD, dit El-Adala, d’Abdallah Djaballah, Ennahda, MEN, MSP et le Front du changement) dans deux grandes structures, les dirigeants islamistes intensifient les tractations depuis quelques jours pour aboutir à une seule grande alliance. Pour eux, cette union des deux «écoles jumelles» est le seul moyen pour éviter une débâcle assurée aux prochaines élections législatives. Mais cette démarche peut aussi cacher un jeu plus stratégique, qui a souvent réussi dans d’autres pays, qui est de se présenter en force dans la perspective d’un gouvernement de coalition. C’est d’ailleurs ce que leur ont toujours reproché leurs partenaires dans la Coordination nationale pour la transition et les libertés. Le MSP d’Abderrazak Mokri avait même entrepris un premier pas dans ses négociations avec le pouvoir, depuis déjà une année. En fait, ce parti ne conçoit pas une participation aux élections sans envisager d’entrer au gouvernement.
Or, à peine l’initiative lancée, les divergences ont commencé à apparaître : répondant au MSP, le porte-parole d’El-Adala, Lakhdar Bekhellef, a été le premier à exprimer des réserves sur le projet, en refusant des conditions préalables pour l’amorce de tout dialogue dans le cadre des alliances. Le MSP met en avant son envergure et son poids électoral pour revendiquer le leadership islamiste. Dans un de ses innombrables écrits postés sur Facebook, Mokri l’a clairement signifié en rappelant, d’abord à ses alliés, que son parti était la seule formation politique «autostructurée» au niveau des quarante-huit wilayas. Donc, le MSP est, selon sa logique, le seul parti capable de fournir, entre autres, des candidats à d’éventuelles listes communes.
En plus de la guerre de leadership qui mine la famille islamiste, qui était à l’origine de sa fragmentation avant même le multipartisme, entre la mouvance radicale faussement dénommée «djaza’riste» représentée par Abassi Madani et Abdellatif Soltani, qui donnera ensuite le FIS, et la Ligue de la da’wa, fondée par Mahfoud Nahnah et Ahmed Sahnoune, qui donnera le Hamas, ancêtre du MSP, cette quête d’alliance bute sur un autre obstacle tout aussi sérieux. Ce dernier risque de freiner cet élan et annihiler toute possibilité d’avoir un pouvoir de décision. Il s’agit de leur affiliation à de différentes références doctrinaires et idéologiques au-delà des frontières, elles-mêmes divisées (Frères musulmans égyptiens, AKP, wahhabites, Al-Azhar, etc.)
Ainsi, le MSP de Mokri est totalement inféodé au parti islamiste au pouvoir à Ankara, porte-drapeau des Frères musulmans dans le monde, tout en développant un discours conciliant et diplomatique, la mouvance incarnée par Abdallah Djaballah est, elle, plus portée par un discours rigoriste, à mi-chemin entre un salafisme d’inspiration wahhabite et un réformisme version ouléma. Alors qu’on sait qu’entre les deux courants la rivalité n’a jamais été aussi vive que depuis la chute des Frères musulmans en Egypte.
L’échec des expériences islamistes dans le monde arabe depuis 2011 et le discrédit qui frappe ces organisations, organiquement liées au terrorisme ravageur et dont l’Algérie a été la première cible, ont obligé les islamistes algériens à se repositionner et, aujourd’hui, à ruser pour s’adapter à la nouvelle conjoncture. D’où cette quête éperdue d’alliances entre frères ennemis.
R. Mahmoudi
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