Lettre ouverte à M. Djabi
Par Saadeddine Kouidri – Dès la lecture du titre de votre dernier entretien, «L’émeute ne menace pas le système, elle lui sert de fortifiant», vous condamnez l’émeute avec un double argument. Si on ne s’arrêtait qu’à cette négation positivée, on déduira que nous devrions nous aussi condamner l’émeute. Ce n’est pas mon avis et c’est pour cela que je vous écris. Vous nous dites que le système n’encourage pas la manifestation, c’est-à-dire une protestation organisée, bien au contraire, car il préfère les mouvements de contestation non organisés et violents. Encore un argument pour condamner l’émeute, que je trouve presque juste, et c’est là mon problème. Plus loin, vous n’avez pas omis de constater que les mouvements sociaux contestataires sont combattus, brisés par le système.
Il ne vous vient pas à l’idée qu’en l’absence de ces mouvements, l’émeute reste le seul acte politique, éphémère certes, mais la seule expression qui reste aux mains de la société, représentée par les plus démunis, les sans-voix, la seule expression politique dans un champ politique cadenassé. Je constate, pour ma part, que «l’émeute a deux visages» au moins, et c’est le titre de mon dernier article ; elle représente pour les uns le cri des plus démunis et pour ceux qui les attendent constamment aux aguets une opportunité pour les faire taire à jamais. Les «aguetapentistes» sont ceux-là même qui tentent de compléter la mainmise antidémocratique sur la société en supprimant tout social économique de la République. Si la loi de finances a le mérite d’exister, et c’est de cela qu’il s’agit lors de la tentative des commerçants de Béjaïa d’imposer leur loi, elle est comme l’émeute et comme un couteau à double tranchant, puisque, comme vous le dites si bien, pour cette période elle est chargée «d’agir de sorte à parvenir à se débarrasser graduellement du constituant social de l’Etat national algérien». Vous sous-entendez le social économique bien entendu. C’est ce qui reste, un peu, à cette république.
Dans votre entretien, vous employez le terme militaire pour désigner le terroriste. Même mis entre guillemets, il a choqué plus d’un de vos lecteurs. Oui, le pouvoir et ses intellectuels peuvent, doivent, pour être fidèles à leurs engagements, parler de militaires, puisque, d’une part, ils ont légalisé anticonstitutionnellement le FIS et négocié par la suite avec les plus forts d’entre eux. Ils parlent de lutte contre le terrorisme tout en élevant un de leur chef au rang de personnalité nationale. Comme on voit, ils ne sont pas à une contradiction près, mais viendrait-il à l’idée qu’un historien continuerait à qualifier un militant de la lutte de libération de fellaga ? Même de «fellaga» ? Est-il pensable aujourd’hui d’écrire «militaire» au lieu de terroriste tout simplement sans donner de la considération à l’assassin ? Si aucune discipline, y compris la sociologie, n’est capable de donner les instruments nécessaires pour aller à la vérité vraie, surtout celle de l’actualité, le regard sur la vie réelle semble dans le cas du terrorisme s’en charger amplement.
L’émeute reste la seule expression politique dans un système antidémocratique, qui est facilement manipulable, et les islamistes sont devenus les maîtres en la matière, tout en étant des auxiliaires du pouvoir.
Si on rappelle que le pouvoir avait négocié avec les terroristes des maquis et non avec les terroristes des villes, cela peut pousser à conclure qu’il aurait fallu négocier avec les terroristes des villes. Si au préalable on ne dit pas cette vérité vraie, qui est «on ne négocie pas avec les terroristes, ni avec ceux de la ville, ni avec ceux de la campagne», on risque de faire croire qu’on peut recommencer, et c’est la stratégie du système actuel pour pouvoir se renouveler, pour se maintenir. Un sociologue me dira Ahmed ne fait pas de politique, mais un sociologue peut rappeler que l’expérience nationale et internationale a obligé les instances à pondre une loi dans ce sens. Cette loi d’interdiction de négocier avec les terroristes a poussé les pouvoirs à qualifier leurs terroristes de politiques et de militaires juste pour ne pas perdre leurs auxiliaires, mais elle ne justifie pas pour autant leur emploi.
S. K.
N. B. : «copies» à Si Mohamed Baghdadi et Ahmed Badaoui
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