Une contribution de Bachir Dahak – Kamel Daoud et Cologne : la troisième mi-temps
La décision prise par le tribunal de Hambourg à propos des «évènements» survenus à Cologne et ailleurs en Allemagne, le soir du Nouvel An 2015, mérite une réflexion lucide et ferme sur l’importante implication de Kamel Daoud dans leur amplification médiatique, dans la vulgarisation assassine de l’idée que les musulmans sont intrinsèquement des violeurs, leur univers socioculturel et leur imaginaire les y encourageant fortement. Tout le monde se rappelle comment toute la presse occidentale avait exacerbé les esprits et favorisé un véritable appel au crime : méfiez-vous, braves gens, en plus d’être voleurs, les Arabes sont aussi des violeurs ! Fallait-il sortir d’Oxford ou de Berkeley pour comprendre qu’à l’époque, la droite – voire l’extrême-droite – allemande n’allait pas rater une telle occasion pour affaiblir Mme Merkel, en rabaissant les milliers de migrants qu’elle voulait accueillir au vil statut d’«obsédés sexuels socialement dangereux» ?
Pour donner du sens à ces accusations, Kamel Daoud avait pris sa plume pour répéter encore une fois qu’il existe deux imaginaires culturels antagoniques. D’un côté, celui des Occidentaux, libéré et serein sexuellement, qui ne connaît aucun de ces fléaux appelés viol, pornographie, pédophilie, prostitution esclavagiste, etc. De l’autre, celui de tous les musulmans, essentialisé dans la formule de «misère sexuelle». Or, il se trouve qu’en fin de compte, la justice allemande a décidé d’acquitter les trois jeunes musulmans en affirmant avoir les preuves qu’ils n’avaient pas commis les délits que l’enquête policière leur imputait et pour lesquels ils ont été incarcérés abusivement pendant six mois.
Comment, alors, ne pas suggérer aux avocats de ces trois jeunes musulmans de poursuivre en responsabilité civile tous les grands journaux qui avaient publié cette fameuse lettre de Cologne, dont l’un des effets pervers avait été de donner une certaine légitimité à enquêter et poursuivre de jeunes musulmans honteusement jetés en pâture par le nouveau gourou de Mostaganem ?
Ce jugement de Hambourg est bien la preuve que toute cette histoire de Cologne était une farce politique dont Kamel Daoud a été le dindon, le sous-traitant, le petit soldat, la basse cartouche de ceux qui trouvent que l’accusation des musulmans par l’un des leurs est plus pertinente et plus perfide. Il est certain que son discours a fait mouche quand on recense les échos dithyrambiques suscités dans la presse bien pensante d’Europe, toute heureuse de répéter et amplifier des stéréotypes racistes puisque couverts par la candeur intellectuelle de notre jeune écrivain. Ses commanditaires ont juste oublié de lui dire que chaque année à Cologne, les mêmes scènes de libations, de dérives alcoolisées, d’agressions sexistes et d’orgies animent les faits divers depuis plus de deux siècles… sans Arabes et sans Maghrébins.
Comment oublier que des millions de musulmans, sereins dans leur croyance, ni excités ni exaltés, ont été affreusement lapidés par sa haine verbale, celle-là même qui plaît autant à la doxa parisienne qu’à ses laudateurs locaux tapis dans certains grands titres de la presse algérienne ?
C’est Nadir Marouf, éminent anthropologue d’Oran, qui le lui a rappelé : «Sinon, sur le rapport au sexe, tout au moins au niveau où je situe le débat, celui de l’anthropologie générale, il n’y a rien à signaler quant à une spécificité barbare du comportement des ‘‘Arabo-musulmans’’ ou des musulmans tout court, en dehors de ce qu’on peut appeler un fâcheux quiproquo.»(*)
Les dernières polémiques nées de son alignement sur les thèses de la diplomatie française en Syrie, pourtant laminée et discréditée par ses propres turpitudes, ne font qu’ajouter de l’ambiguïté à ses écrits.
Bachir Dahak
Juriste par effraction
Auteur de Rire et politique en Algérie, éditions Arabesques, Tunis
(*)«Le syndrome de Cologne ou l’orgie carnavalesque», Le Quotidien d’Oran du 10 mars 2016
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