Emeutes de Béjaïa : le poids des lobbies
Par Houria Aït Kaci – Les émeutes qui ont secoué en ce début janvier 2017 la région de Béjaïa, à la faveur d’un mouvement de grève des commerçants suite à un appel anonyme, sont révélatrices du poids pris par les lobbies du commerce informel et de l’import-import qui cherchent à défier l’Etat après les dernières mesures de contrôle sur le commerce extérieur. Ces barons représentent la bourgeoisie compradore qui freine le développement du pays en raison de ses liens avec les intérêts étrangers. Avec la post-mondialisation, quelles leçons pour l’Algérie au moment où le Forum de Davos recommande de réformer le capitalisme de marché ?
Selon des témoignages de journalistes à Béjaïa, la grève des commerçants a été dévoyée par l’intervention de jeunes «casseurs» et «pilleurs» qui ont ciblé des biens publics et privés et ont menacé les commerçants récalcitrants à suivre le mouvement. Ces émeutiers ont été «manipulés» pour «allumer le feu» par des commanditaires qui tiraient les ficelles dans l’ombre. Ils voulaient adresser des messages à l’Etat (à distinguer du pouvoir politique), dont les dernières mesures sur le commerce extérieur ont dérangé leurs intérêts. Ils ont probablement voulu rééditer les «émeutes de l’huile et du sucre» de 2011, en plein «printemps arabe», quand ils ont fait annuler la décision du paiement obligatoire par chèque pour toutes les transactions supérieures à 500 000 dinars.
Le président de l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), El Hadj Tahar Boulenouar, est formel : «L’appel au débrayage des commerçants a été lancé sur les réseaux sociaux par les barons de la spéculation et du business politique» qui « poussent à la hausse des prix de tous les produits afin d’augmenter leur marge bénéficiaire, sous prétexte de la nouvelle loi de finances. Il faut savoir que les augmentations dues à la spéculation et au monopole sont plus graves que celles de la loi de finances», a-t-il souligné.
Abondant dans le même sens, le quotidien L’Expression affirme que «ce mouvement est fomenté par les barons de l’informel» et que «l’Etat a émis une batterie de mesures qui permettent de lutter efficacement contre l’informel sans l’affronter directement». Il cite : «Le passage au payement électronique, la numérisation du registre de commerce, de la carte fiscale, le forcing de la Cnas et de la Casnos envers les employeurs, les incitant à déclarer leurs travailleurs», autant de mesures prises en 2016 «qui mettent en péril cette nébuleuse» qui a toujours tiré sa fortune et sa puissance de l’absence de traçabilité des transactions financières et commerciales.
Outre la numérisation de l’économie, d’autres mesures de réorganisation du commerce extérieur ont été prises en 2015/2016, qui doivent entrer en applications début 2017, dont la plus importante est celle du rétablissement des licences d’importation, visant notamment à «mieux maîtriser les importations, encourager les exportations hors hydrocarbures, préserver les équilibres financiers extérieurs» de l’Etat, et portant sur une vingtaine de produits dont : les véhicules, les appareils électroménagers, le ciment (dont le pays deviendra autosuffisant en 2017 et exportateur à partir de 2018).
Ce dispositif en matière de réduction des importations, introduit suite à la baisse des revenus pétroliers, prévoit concernant les véhicules l’obligation préalable pour les concessionnaires de lancer un investissement industriel ou semi-industriel dans l’activité (montage et assemblage). Le quota d’importation des véhicules a, par ailleurs, été réduit à 53 000 véhicules, soit moins de 45 000 par rapport à 2016.
Les pouvoirs publics ont également réactivé les brigades mixtes de contrôle (commerce, douanes et impôts) pour assurer «la protection de l’économie nationale, la répression des fraudes» contre la fuite des capitaux, la corruption dans le secteur du commerce extérieur et instaurer un soutien à la production nationale et les produits fabriqués localement.
Toutes ces mesures ont probablement dérangé les intérêts de ces «barons de l’informel» et de «l’import-import» qui contrôlent une grande part des importations, le marché parallèle de la devise, le marché de gros et une partie du marché de la distribution, faisant saigner les petites bourses par la spéculation, y compris sur les produits de base subventionnés par l’Etat. Ces lobbies de la «chkara» (argent facile ou argent sale) sont puissants.
H. A. K.
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