Echec de la mondialisation et retour à l’Etat-nation
Par Houria Aït Kaci – Le FMI n’a plus le vent en poupe depuis le Brexit (sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) et l’élection de Donald Trump à la Présidence américaine, évènements majeurs de l’année 2016 qui ont mis à nu les dégâts causés aux économies nationales et aux populations. La post-mondialisation implique un «retour aux frontières», un retour aux «Etats-nations» que la gouvernance mondiale imposée par les néoconservateurs a écrasés parfois dans le sang.
Le Brexit a été conduit sous les mots-slogans de «retour à l’indépendance» et à «la souveraineté nationale», et l’élection de Trump s’est faite sur la base d’un programme protectionniste, de remise en cause de certains accords de libre-échange, de délocalisations, de désindustrialisation et de perte d’emploi, de lutte aux frontières contre l’émigration illégale. Son conseiller, Steve Bannon, s’est déclaré comme «un nationaliste économique» voulant bâtir un «mouvement économique nationaliste» unissant conservateurs et populistes.
Deux jours après l’élection de Trump, le Fonds monétaire international (FMI) a admis que «les effets négatifs du commerce international doivent être davantage pris en compte en faveur de ceux qui se sentent laissés-pour-compte. Nous devons avoir plus de mesures pour aider à atténuer les effets négatifs et répondre aux inquiétudes de ceux qui se sentent laissés sur le bas-côté».
Après ce «séisme», la scène politique mondiale continue d’enregistrer l’émergence de partis politiques nationalistes et populistes qui estiment qu’il est temps de revenir à la souveraineté des Etats-nations, de s’opposer aux politiques de blocs et des organismes supranationaux pour trouver des solutions propres à chaque pays, comme en France qui risque un «Frexit» (sortie de l’UE) en cas de victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017.
En outre, la monnaie unique, l’euro, risque l’effondrement, qui, selon le Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, pourrait se produire avant la fin 2017. Pour lui, le projet a été «mal conçu au départ, ignorant les spécificités de chaque pays, entraînant l’Europe vers le déclin». «La zone euro n’a pu absorber le choc de la crise économique de 2008» et «le résultat est que les pays riches s’enrichissent, les pays pauvres s’appauvrissent, et à l’intérieur de chaque pays, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent».
Cependant, certains hommes politiques, comme l’ex-Premier ministre Manuel Valls, tout en reconnaissant que «la mondialisation a fait beaucoup de dégâts» et qu’elle «n’a pas tenu ses promesses de plus de prospérité, de plus d’emplois», préconise sa réforme. Mais, souligne-t-il, «pour peser dans la mondialisation, il faut des nations fortes et une Europe puissante et protectrice» et un Etat capable «d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour adapter son économie, mais aussi protéger ses travailleurs».
Par contre, l’économiste égyptien Samir Amin, lui, est persuadé que «toutes les tentatives de sauver le système sont vouées à l’échec. L’élection récente de Donald Trump après le Brexit, la montée de votes fascistes en Europe, mais aussi et bien en meilleur la victoire électorale de Syriza et la montée de Podemos, sont toutes des manifestations de la profondeur de la crise du système du néolibéralisme mondialisé» qui «implose sous nos yeux dans son cœur même», écrit-il dans mondialisation.ca.
Cette implosion «devrait être saisie comme précisément l’occasion historique offerte aux peuples» pour construire une alternative, conduite par la gauche radicale en mobilisant les forces populaires, comportant «aux plans nationaux l’abandon des règles fondamentales de la gestion libérale de l’économie au bénéfice de projets souverains populaires donnant toute leur place à des avancées sociales», et, «au plan international, la construction d’un système de mondialisation polycentrique négociée» (multipolaire), ajoute l’économiste du Tiers Monde.
Cependant, ce «séisme» de la mondialisation ne signifie pas que les USA renoncent à leur projet hégémonique de «déstabiliser et de détruire des pays par toutes sortes de moyens, actes de guerre, opérations clandestines de soutien à des organisations terroristes, changement de régime et guerre économique», estime le professeur Michel Chossudovsky («Néolibéralisme et mondialisation de la guerre : le projet hégémonique des USA» sur mondialisation.ca du 22 juin 2016). Il cite parmi la panoplie des moyens utilisés pour la guerre économique «les réformes macroéconomiques meurtrières imposées à des pays endettés, l’apparition de marchés noirs, la manipulation des marchés financiers».
Par contre, le philosophe américain Francis Fukuyama considère que «les USA sont un Etat défaillant» et que «le temps des succès de l’Occident est révolu», selon l’agence russe Sputnik. Il estime que «l’ascension fulgurante de Donald Trump et l’essor du nationalisme en Europe sont loin d’être un hasard», mais que «c’est plutôt un signe de grands changements, et ces derniers peuvent mettre un terme à tous les efforts entrepris par Washington depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale».
H. A.-K.
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