L’ex-membre du Conseil de sécurité américain William B. Quandt : «Octobre 88 en Algérie est le premier printemps arabe»
Dans le documentaire français Le sabre et la Kalachnikov réalisé par Djeboul Beghoura et Roberto Lugones (voir article et interview dans AP), William B. Quandt, un ancien membre du Conseil de sécurité des Etats-Unis, est l’une des personnalités qui s’expriment pour tenter d’expliquer l’irruption des mouvements islamistes dans les pays musulmans et leur impact actuel, en particulier au Moyen Orient. Selon son analyse, tout a commencé avec l’épuisement du nationalisme «dans les années 1970 et certainement dans les années 1980».
Pour lui, «les gens ne croyaient plus que l’Etat-nation, relativement laïc, était en mesure de régler leurs problèmes». Il en déduit qu’il y avait un vide idéologique, et c’est là, dit-il, que «les gens ont commencé à dire que le nationalisme ne suffisait pas». Il y a eu, rappelle-t-il, «la révolution en Iran qui a renversé le régime du shah et, au final, la force politique qui a réussi à accomplir cela a été une force religieuse». Il tient à souligner que ce fait est sans précédent dans l’histoire moderne : «Ce fut la première fois dans l’ère moderne qu’on a été témoin d’une mobilisation de l’islam politique réussie qui a soudainement renversé un régime extrêmement puissant.»
Pour lui, là est le point de départ de la conviction chez les mouvements islamiques qu’ils pouvaient faire la même chose et s’emparer du pouvoir. A ce propos, il revient à ce qui s’est passé en Algérie en octobre 1988 qu’il qualifie de «premier printemps arabe». «Dans ce contexte, explique-t-il, les islamistes politiques ont fait surface et se sont organisés.» Il rappelle qu’ils ont même failli remporter les élections parlementaires. Mais dans un raccourci simpliste dont il est coutumier, William B. Quandt, qui évite de parler du terrorisme islamiste qui a endeuillé et failli même faire disparaître l’Algérie, ressasse une thèse qui demande à être exposée dans toutes ses nuances, mais qu’il énonce de la façon la plus laconique : «L’armée est entrée en jeu et empêché le parti islamiste d’arriver au pouvoir, ce qui a déclenché un conflit de presque une décennie entre le régime et les islamistes.»
Il reconnaît toutefois que l’effondrement de l’Etat, qui était la condition sine qua non de la victoire des islamistes, ne s’est pas produit ; les structures fondamentales de l’Etat algérien, notamment «l’armée qui est une force militaire très professionnelle, se sont maintenues». De même, constate l’expert américain, à l’époque, le pays ne s’est pas disloqué. Résultat : l’Algérie a été en mesure de «contenir puis de largement vaincre le mouvement islamiste» avec la circonstance favorable, laisse-t-il entendre, qu’«aucun pays étranger n’est intervenu dans le conflit algérien, comme cela a été le cas pour la Syrie ou l’Irak».
Sans doute en référence à la problématique de l’intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats, il maintient que pour ce qui concerne l’Irak, en 2003, «c’était une erreur pour les Etats-Unis d’intervenir». Il critique surtout «la façon dont l’intervention s’est déroulée, l’absence de plan durant les jours qui ont suivi le renversement de Saddam Hussein et la manière dont l’intervention s’est développée en Irak». William B. Quandt estime que c’est cette succession d’erreurs qui a «créé une réelle situation d’échec pour l’Etat qui s’est effondré». Il pense qu’en 2003, le président Bush voulait «reformater le Moyen-Orient en commençant par renverser Saddam Hussein». Il note que c’est dans le climat d’instabilité et de guerre générale créé par l’effondrement de l’Etat en Irak que Daech a émergé en imposant sa suprématie aux autres groupes armés. Pour lui, «il y aura une très longue période d’instabilité dans les parties clés du Moyen-Orient».
Par ailleurs, s’agissant du «printemps arabe» en Tunisie, il fait part de la désillusion provoquée par «la jeune génération qui est descendue dans les rues réclamer les changements». En fait, l’impression donnée par ces jeunes de posséder une base de soutien dans la société découlait du constat qu’ils «savaient se servir de facebook et communiquer avec l’Occident». Mais, rappelle-t-il, «dans le printemps arabe en Tunisie et en Egypte, très rapidement, les partis islamistes ont gagné du terrain parce qu’ils étaient très bien organisés».
A aucun moment, Quandt ne signale une quelconque trace de la «patte» des services américains dans le chaos et les guerres qui dominent en Irak, en Syrie ou dans deux autres pays qu’il n’évoque d’ailleurs pas, la Libye et le Yémen. Il conclut en recommandant aux Etats-Unis d’évaluer «quels sont nos alliés potentiels avec lesquels nous partageons des intérêts communs dans la région» et travailler avec eux.
Houari Achouri
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