Louis Caprioli : «L’Algérie est sortie de la décennie noire grâce à son armée solide»
Louis Caprioli a suivi de près la situation en Algérie et connaît bien les mouvements islamistes qui ont versé dans le terrorisme qui a endeuillé notre pays. Il les connaît à la fois dans leur genèse puis dans le processus de radicalisation et enfin dans leur mise en échec en Algérie. Il a été sous-directeur à la Direction de la sécurité du territoire (DST) française entre 1998 et 2004 en charge de la lutte antiterroriste. C’est en spécialiste des réseaux islamistes en Afrique du Nord et en Europe qu’il intervient dans le documentaire français Le sabre et la Kalachnikov réalisé par Djelloul Beghoura et Roberto Lugones.
Il revient un quart de siècle en arrière, en 1991, pour rappeler l’irruption dans les rues d’Alger des «afghans algériens» tel qu’on les appelait. «L’élément inquiétant qui a été pour nous, dit-il, révélateur, ce sont les grèves insurrectionnelles de 1991 où on a vu pour la première fois défiler des afghans algériens.» Il fait ressortir l’impact sur notre pays de ce conflit qui s’est déroulé très loin de nos frontières, en Afghanistan, et qui relevait, sur fond de guerre froide, de la rivalité entre deux grands pays, l’Union soviétique, à l’époque, et les Etats-Unis. «La crise afghane avait mis en évidence, souligne-t-il, toute une foule de djihadistes» appelés les «afghans arabes». Ceux que l’on avait vu défiler à Alger pour la première fois, lors des grèves insurrectionnelles du FIS en 1991, ont montré, rappelle encore Louis Caprioli, que «l’Algérie avait ce type de population».
C’est ce «basculement vers la radicalisation et vers la violence» qui a été inquiétant pour l’ancien sous-directeur de la DST. Il décrit comment «les Algériens ont été confrontés à partir des années 1991, 1992 et 1993 à une montée en puissance exceptionnelle de la mouvance armée, puisque l’AIS, qui était la branche armée du FIS, avait des milliers de combattants». Puis l’aggravation de la situation «lorsque le GIA monte en puissance, il y a des milliers de combattants, plus de 20 000, qui sont déployés sur l’ensemble de l’Algérie et il y a des villages sous contrôle du GIA».
Comment l’Algérie a-t-elle réussi à sortir victorieuse dans la lutte antiterroriste ? Pour Louis Caprioli, «ce qui a fait la réussite de cette lutte, c’est son armée solide, constituée de conscrits encadrés par des professionnels». Il note que parmi cette masse d’appelés, il y a eu assez peu de déserteurs. Il explique que devant les massacres abominables commis par les groupes terroristes, «les gens qui pouvaient avoir de la sympathie pour la mouvance islamiste ont eu une position de retrait, par dégoût».
A propos de l’intervention française contre les camps de groupes terroristes en Syrie, «la France, souligne-t-il, a utilisé le principe de la légitime défense (Daech est source de terrorisme) pour faire des bombardements». Dans le même documentaire Le sabre et la Kalachnikov, et sur la problématique de la lutte antiterroriste, Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), estime que «l’approche sécuritaire doit être accompagnée par la démarche politique». Il cite l’exemple de l’Algérie qui est sortie de la décennie noire «par les moyens politiques combinés avec le sécuritaire».
A propos des printemps arabes, il note que «l’histoire ne s’est pas déroulée de la même façon en Egypte et en Tunisie, ni en Algérie et au Yémen, ni en Syrie et en Arabie Saoudite». Pour lui, «chaque Etat conserve ses caractéristiques nationales propres, mais partout il y a des gens qui s’expriment individuellement et collectivement ; il n’y a presque plus d’Etat totalitaire».
Houari Achouri
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