Jean-Pierre Luizard : «Le discours de Daech s’adresse autant à des bédouins qu’à des jeunes dans les banlieues de France»
L’expert français Jean-Pierre Luizard, directeur de recherches au CNRS, qui est intervenu dans le documentaire français Le Sabre et la Kalachnikov, réalisé par Djelloul Beghoura et Roberto Lugones, a souligné que «Daech ne veut certainement pas rétablir le califat ottoman» qui a été aboli, rappelle-t-il, par Mustafa Kemal Atatürk en 1924. Daech «fait référence au califat des salafs, des compagnons du Prophète, notamment celui des quatre premiers rachidoun». C’est, dit-il, une sorte de «revivalisme», c’est-à-dire «un processus selon lequel toutes les théories politiques portées par les pays occidentaux seraient porteuses de corruption, et il n’y aurait qu’une institution légitime qui est celle du calife». Il relève qu’«Abou Bakr Al-Baghdadi, le calife autoproclamé, est un secrétaire comptable qui n’a fait que deux ans d’études théologiques et a été proclamé calife sans le consensus obligatoire des grands oulémas du monde sunnite». Il note également que le discours de Daech s’adresse «autant à des bédouins dans le désert irakien ou syrien qu’à des jeunes derrière leurs ordinateurs dans les banlieues d’Australie ou de France ou d’ailleurs». Il pointe la responsabilité des Américains dans l’effondrement de l’Etat irakien qui a conduit à «la tripartition du territoire irakien entre une zone kurde, une zone sunnite et une zone chiite» et, selon lui, à l’accueil favorable de la population de la zone arabe sunnite d’Irak aux premiers bataillons de Daech vus «comme des libérateurs par rapport à une situation qui était jugée pire».
Jean-Pierre Luizard met en cause «le projet américain de restructuration de l’Irak à la libanaise, non pas fondée sur une citoyenneté mais sur une appartenance communautaire» qui a été un échec. Enfin, concernant les «printemps arabes», un de leurs effets, à son avis, est d’avoir «libéré la société civile religieuse qui a pris toute son ampleur à partir du moment où la dureté de la répression a “confessionnalisé” les enjeux».
Houari Achouri
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