L’Ecole : défis et enjeux (II)
Par El-Mehdi Bellamine – A la mémoire des regrettés Tahar Kaci(*) et Elyès Ouibrahim(**) (anciens et inoubliables cadres de l’éducation nationale)
Depuis quand l’école algérienne a-t-elle eu pour objectif exclusif de préparer au seul baccalauréat pour que l’on puisse leurrer l’opinion avec ces facéties et culpabiliser l’école plus qu’elle ne l’est déjà par de pareilles conclusions ?
Quel rôle et quelle fonction sont assignés à l’examen national organisé à la fin du cycle primaire quand plus de 95% des candidats sont admis en 1re année des collèges ? Si la fonction de cet examen est de renseigner les responsables du système éducatif sur l’état du cycle, des méthodes modernes d’évaluation qui ont fait leurs preuves au niveau mondial parmi les nations développées permettent d’atteindre cet objectif avec économie de temps, d’efforts et de moyens, tout en évitant de raccourcir la durée effective de l’année scolaire. En revanche, si les finalités de cet examen aspirent à déceler les insuffisances chez les élèves, il faudrait que les «pédagogues» de l’éducation nationale sachent qu’à la fin du primaire, les déficits au niveau individuel se sont tellement accumulés durant le cycle qu’ils ont eu un effet dit «boule de neige»(3) qu’il est difficile de combler. Ceci est particulièrement avéré lorsqu’on a recours à un outil sommatif, de surcroît non valide, à la place d’épreuves diagnostiques qui doivent être à la base de toute tentative de remédiation ultérieure au niveau individuel(4) ! Aussi, est-il tout aussi aberrant qu’incongru d’affirmer que l’exploitation des résultats des examens officiels peut servir de base à une remédiation pédagogique à travers la mise en place d’une pédagogie de soutien. En outre, les règles élémentaires de l’évaluation diagnostique indiquent qu’un pourcentage élevé de fautes chez une population scolaire renvoie beaucoup plus à une régulation du processus «enseignement-apprentissage»(4) par la recherche des causes dans la construction des programmes incriminés, des méthodes d’enseignement, des moyens mis en œuvre, dans la formation des enseignants… et non pas au niveau individuel, c’est-à-dire l’élève. Alors, parler à ce niveau de la non-maîtrise de l’écriture de la «chedda» par les élèves (que dire alors de la hamza ?), c’est illustrer le manque de culture pédagogique dont souffrent les différents agents en charge de l’éducation des générations futures à tous les niveaux du système éducatif.
En l’état actuel des choses et compte tenu des profils épars des élèves qui accèdent au collège, l’idée de créer des parcours diversifiés – au moins deux – dans le cycle moyen devrait être pédagogiquement examinée pour que la majorité des élèves d’une cohorte puissent terminer l’enseignement obligatoire en en tirant un bénéfice pour eux-mêmes et pour la société qui a consacré des ressources non négligeables pour la formation des citoyens de demain. Ainsi, on pourra affirmer que l’enseignement obligatoire leur a assuré une solide formation de base qui les protègera d’un retour vers l’illettrisme, antichambre de l’analphabétisme, tout en les dotant des outils nécessaires pour poursuivre, en fonction de leurs compétences, soit des études longues soit acquérir une qualification.
Dans le même ordre d’idée, n’est-il pas temps de songer à abandonner l’examen du Brevet d’enseignement moyen (BEM) qui n’a plus de sens à quelque niveau que ce soit et qui, ajouté à l’examen de fin de cycle primaire, alourdit le plan de charge de l’Onec tout en grevant son budget et celui de l’Etat par la mobilisation qu’il engendre à tous les niveaux ? Un simple certificat, se basant sur les résultats des contrôles continus, attestera que l’élève a suivi l’enseignement fondamental jusqu’à son terme et qu’il l’a terminé avec succès. L’accès à l’enseignement secondaire sera quant à lui tributaire de la réussite à des épreuves prédictives qui permettent de déceler l’aptitude effective à suivre un enseignement secondaire long de type académique. Ces épreuves pourraient être élaborées dans un premier temps au niveau national avec des accommodements au niveau local, s’il le faut. A terme, elles devraient être progressivement décentralisées au niveau de la wilaya, puis au niveau de l’établissement, rendant ainsi effective la décentralisation de la décision pédagogique et rendant comptables les gestionnaires locaux en charge de l’éducation qui, associés de fait à la prise de décisions pédagogiques, ne se contenteront plus d’attendre des directives «venues d’en haut» pour agir dans le sens de l’amélioration des prestations pédagogiques des établissements dans le cadre d’un projet cohérent et harmonieux.
S’agissant de l’enseignement secondaire, il faut savoir que ce cycle souffrait déjà de la perversion de ses finalités avant même la mise en place de la commission nationale de réforme. Composé d’un enseignement secondaire général à vocation pré-universitaire sanctionné par le baccalauréat de l’enseignement secondaire et d’un enseignement technique à vocation exclusivement professionnelle sanctionné par le baccalauréat de technicien, exception faite des filières «technique-mathématiques» et «technique-économique» sanctionnées par le baccalauréat de l’enseignement secondaire, ce cycle a vu sa vocation élitiste pervertie dès 1983 lorsque le pouvoir politique a cédé aux revendications des manifestations des lycéens qui réclamaient l’accès à l’université avec la baccalauréat de technicien. Ce fut le début d’une grande errance avec les fameux 70% d’échec en tronc commun universitaire, car le BT était un diplôme à vocation professionnelle et n’assurait pas les prérequis indispensables à un enseignement universitaire long de type académique. Plus tard, le nombre de ses filières fut porté à près de vingt dans les années quatre-vingts, car le cycle secondaire se trouva être le réceptacle de toutes les filières de formation qui étaient sous la tutelle d’autres ministères du fait de la crise qu’occasionna la chute brutale des prix du pétrole et du fait aussi de la satisfaction des besoins des secteurs économiques concernés. Il a fallu attendre les années 2000 pour voir le nombre de ses filières revenir aux cinq filières traditionnelles de l’enseignement secondaire. Cependant, cette nouvelle réorganisation a consacré le sacrifice de l’enseignement technique pour lequel des sommes colossales avaient été engagées durant les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Des centaines de millions de dollars d’équipements sont en train de pourrir dans les lycées techniques et les technicums, sans compter la perte de l’expérience du capital humain algérien dont les coûts de formation sont exorbitants ; personne ne s’en émeut à quelque niveau que ce soit.
Pour ce qui est de l’examen du baccalauréat de l’enseignement secondaire (à distinguer du baccalauréat de technicien), sa durée a toujours été de trois jours ; elle ne s’est rallongée que progressivement à partir de 2006 par l’adjonction de disciplines visant à satisfaire tous les courants de la société et assurer la paix sociale. Dire aujourd’hui que l’on va réformer (?!) le baccalauréat en réduisant sa durée à trois jours et en maintenant toutes les disciplines est-il pédagogiquement correct ? On ne peut «donner une identité à une filière» par l’augmentation des coefficients à un examen final, voyons ! Le baccalauréat est un diplôme, et comme tout diplôme, il sanctionne une étape ; or le système lui fait jouer – tout comme pour le brevet d’ailleurs – un double rôle : celui de sanctionner un cycle et celui de prédire la réussite dans le cycle suivant ! Si sa capacité à sanctionner les études du cycle secondaire reste à vérifier, on sait déjà que l’objectif prédictif est sujet à caution, si l’on tient compte des seuls résultats des troncs communs universitaires, bien que la réussite ou l’échec à ce niveau ne dépend pas exclusivement de la qualité de l’enseignement secondaire ou du profil des bacheliers ! Donc, au lieu de s’évertuer à s’occuper de «la réforme» de l’organisation de cet examen, car c’est de cela qu’il s’agit et non pas de la réforme du baccalauréat, n’est-il pas plus pédagogiquement judicieux de réfléchir à la redéfinition des finalités du cycle, à la réorganisation de ses cursus en faisant en sorte que la nomenclature des disciplines, les horaires et les programmes qui sont consacrés à chaque filière soient conformes à sa vocation et à ses objectifs avant de «triturer» les coefficients et les horaires de l’examen ? Est-il normal dans un pays comme le nôtre que 85% des élèves qui achèvent le cycle obligatoire accèdent à un cycle secondaire à vocation exclusivement pré-universitaire ? Ont-ils vraiment les compétences requises et le profil adéquat pour y réussir ? N’est-il pas temps de mettre en place des épreuves qui permettent de déceler l’aptitude à suivre un enseignement secondaire long de type académique ? Est-il normal que des centaines de millions de dollars d’équipements scientifiques et techniques soient laissés à l’abandon ? L’enseignement professionnel n’a-t-il pas une place légitime dans les infrastructures de l’enseignement technique, indépendamment de sa tutelle qui en toute logique devrait revenir à l’éducation nationale ?
Dans le même ordre d’idée, peut-on vraiment espérer le renouveau de notre système éducatif sans poser au centre des débats le problème ô combien vital et crucial de la formation des enseignants ! Est-il normal que le secteur de l’éducation nationale, avec la DGSN et la Gendarmerie nationale soient les seuls réceptacles de la majorité des diplômés de l’université dans presque toutes les spécialités ? Est-il tout aussi normal que ces diplômés, une fois admis à des concours de recrutement qui ne permettent nullement de déterminer leurs aptitudes au métier d’enseignant, soient mis face aux élèves sans aucune formation sérieuse préalable, hormis une imprégnation éclair, quand elle se fait ? Dans ce cadre précisément, il faudrait bannir à jamais la culture de l’oubli et de la cécité ; un bref flashback nous permettra de mieux comprendre et de cerner objectivement certaines causes, parmi tant d’autres, de la régression de la qualité de l’enseignement dans notre pays. Avec l’effondrement des cours du brut en 1986, il y eut le fameux plan national de relève de la coopération dans le secteur de l’éducation(5) pour contribuer à la réduction des exportations de devises. Pour cela, des concours de recrutement de diplômés de l’enseignement supérieur furent organisés tous azimuts, particulièrement pour l’enseignement secondaire. Si cette mesure a permis de résorber en grande partie le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur, elle eut comme conséquence dramatique la détérioration de la qualité de l’enseignement dispensé particulièrement dans les lycées. Les personnes admises aux concours de recrutement étaient directement versées dans les classes sans préparation aucune ; plus grave encore était la mosaïque des profils affectés pour l’enseignement des différentes disciplines inscrites au curriculum du secondaire. Ainsi, face au déficit énorme en professeurs de français, tous les diplômés qui avaient fait des études supérieures en langue française pouvaient prétendre à une affectation comme professeur de français ; pratiquement tous ceux qui avaient fait des études d’ingénieurs pouvaient prétendre à un poste de professeur de mathématiques ou de physique-chimie ; ceux de la charia comme professeurs d’arabe ; ceux de psychologie comme professeurs de philosophie ; sans parler de la mosaïque de spécialités autorisée à concourir pour l’enseignement primaire, alors qu’ils ne maîtrisaient nullement les fondements et les règles de la langue d’enseignement, des mathématiques ou des sciences et encore moins la psychologie de l’enfant, la pédagogie ou les méthodes d’enseignement ! Et voilà que malgré ce désastre, on en est encore à ces pratiques en 2016, et ce, au moment où tous les enseignants ont besoin d’une amélioration de leur niveau de culture générale et professionnelle, car les sources d’accès aux savoirs ont été démultipliées et se sont démocratisées ! Qu’en est-il de leurs formations dans leurs spécialités respectives ? Où sont les programmes de formation continue des enseignants ? Qu’en est-il de leur formation sur les plans moral et éthique ?
El-Mehdi Bellamine
Inspecteur à la retraite
(Suivra)
3- Bonboir, Anna : La pédagogie corrective, Paris, PUF, 1970
4- Bloom, B. S. : Learning for mastery, McGrew Hill, New York, 1968
5- Plan de relève de la coopération étrangère dans l’enseignement secondaire et technique, ministère de l’Education, Alger, 1984
(*) Tahar Kaci (1944-2004) a été normalien à Bouzaréah, puis à l’ENS de Kouba, avant d’être professeur de philosophie, de pédagogie, directeur d’ITE, sous-directeur de la recherche et directeur au ministère de l’Education nationale, ensuite chargé de mission à la présidence de la République et Secrétaire d’Etat à la formation professionnelle
(**) Elyès Ouibrahim (1943-2009) a été normalien à Constantine, puis à l’ENS de Kouba avant d’être sous-directeur au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, directeur au Plan, CES au SEEST, directeur au ministère de l’Education nationale, Directeur d’études auprès du chef du gouvernement et Secrétaire général du MJS
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