Législatives 2017 : enjeux et défis pour l’opposition
Par Zoheir Rouis – Après avoir mené avec d’autres, et durant plus de deux ans, la fronde contre le régime, des partis de l’opposition ont annoncé leur participation sans conditions aux prochaines élections législatives aux côtés des partis du pouvoir dont le RND et le FLN.
Ces décisions n’ont étonné que ceux qui n’ont pas vu venir le désengagement progressif de ces partis des engagements pris au sein de la CNLTD (1) et de l’ICSO (2) et consignés dans les plateforme et résolutions des sommets de Mazafran I et Mazafran II (3).
Les premiers actes de cette volte-face ont été inaugurés par la rencontre en tête à tête entre un président de parti de l’opposition et le directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, par ailleurs patron du RND. Rencontre rendue publique par ce dernier. S’en sont suivies des déclarations publiques sur la nécessité d’un gouvernement d’union nationale comme s’il ne s’agissait que de partager le pouvoir avec les partis du pouvoir, quitte à laisser perdurer davantage ce régime en lui octroyant à l’intérieur comme à l’extérieur des gages de crédibilité démocratique.
Les signaux envoyés commençaient ainsi à brouiller le message, et le régime obtenait par la grâce de certains membres de l’opposition ce dont il rêvait, à savoir faire reculer l’opposition sur ses exigences pour mieux la discréditer et donc faire avorter cette initiative historique et inédite des partis de l’opposition qui avaient uni leurs voix et revendications.
En effet, l’opposition démocratique réunie au sein de l’ICSO sous l’impulsion active de la CNLTD, venait tout juste, et de manière inédite, d’unir ses rangs autour de principes partagés et d’engagements pris pour sortir l’Algérie de la crise par l’instauration d’un Etat de droit devant passer par la mise en place d’une période de transition négociée, l’organisation d’une élection présidentielle anticipée et la mise en place d’une instance indépendante d’organisation et de surveillance des élections.
Aujourd’hui, et c’est légitime, des questions se posent sur cette attitude douteuse et participationniste de certains partis qui, deux années durant, ont vilipendé, à juste titre, ce régime autocratique pour son refus d’ouvrir un dialogue sincère avec l’opposition et son refus d’accéder à ses revendications.
Quelles sont donc les mesures qu’aurait prises le régime ou les garanties qu’il aurait données et qui peuvent expliquer que des partis cofondateurs de la CNLTD et de l’ICSO, et qui se réclament encore de l’opposition, participent ainsi, et sans conditions, aux prochaines élections législatives ? Sauf à dire qu’il y a des tractations secrètes, et donc par définition contraires à l’intérêt démocratique du pays.
Tout le monde est au fait que le régime a systématiquement rejeté ou ignoré toutes les demandes et propositions de l’opposition et qu’il n’y a aucun élément tangible et vérifiable qui laisse à penser que la fraude ne sera pas au RDV du prochain scrutin (les partis de l’opposition participationniste le crient eux-mêmes déjà !) et que la répartition des élus par parti sera, comme à l’accoutumée, le produit d’une politique de quotas octroyés.
En tout état de cause, là où l’opposition, partis participationnistes compris, a réclamé une période de transition, le régime a répondu par la modification unilatérale de la Constitution via un Parlement de parvenus aux ordres, ouvrant ainsi la voie à un cinquième mandat sous couvert de limitation de mandats présidentiels. Et là où l’opposition, partis participationnistes compris, a exigé la mise en place d’une instance indépendante d’organisation et de surveillance des élections composée des partis, le pouvoir a répondu par l’instauration d’une commission de quatre cents fonctionnaires, tous nommés de manière discrétionnaire par le président et avec, à sa tête, un transfuge redresseur d’un parti islamiste, gratifié pour bons et loyaux services.
Quelle est donc cette realpolitik qui peut aujourd’hui justifier ce qui s’apparente clairement à une volteface de ces partis de l’opposition ? Faire de la politique doit-il nécessairement impliquer de se défaire de ses principes, de ses convictions profondes, de reprendre la parole donnée et de briser ainsi la confiance au motif qu’il faut rester dans le jeu, jeu du pouvoir bien sûr ?
La politique et la stratégie politique, même ponctuelle ou à court terme, ne doivent pas se faire en contradiction avec ses propres principes, ses convictions profondes et ses idéaux, ceux-là mêmes qui sont énoncés publiquement et qui engagent ! Agir autrement c’est à minima brouiller le message pour ne pas dire trahir la parole donnée et donc briser la confiance.
Or, le mal qui ronge la politique, c’est bien l’absence de confiance de la population en les politiques et l’incapacité de l’opposition à amener ce régime à évacuer l’espace politique de manière pacifique et organisée. C’est bien là le défi et les enjeux de cette énième mascarade électorale pour l’opposition démocratique.
En effet, pourquoi suivre quelqu’un, un parti ou un groupe d’individus qui passe son temps à énoncer de beaux principes si au premier coup de sifflet il passe par pertes et profit ses principes pour aller chercher un maroquin ? En réalité, lorsque l’on agit ainsi c’est que l’on a perdu la foi en la politique, la foi en la souveraineté populaire et au caractère salvateur de la promotion de l’Etat de droit. Lorsque l’on agit ainsi, c’est que l’on a perdu espoir dans le fait que la légitimité vient des urnes.
Et si un parti perd la foi dans la force de ses convictions pour un Etat de droit, c’est qu’il a perdu sa raison d’être, celle qui consiste à montrer le chemin vers la construction d’une société plus juste et démocratique. Et cette perte de foi devient ainsi lisible pour le commun des mortels et qui, en réponse, trouve dans cette posture défaitiste matière à alimenter son ressentiment contre les partis et sa perte de confiance en leur capacité à représenter une alternative crédible.
Avec les partis participationnistes sans conditions, nous ne sommes pas sur une différence de vision sur un point de conjoncture politique mais bien sur une vision différente de la stratégie à long terme pour construire un nouvel espace politique, une nouvelle classe politique et une société civile consciente de ses droits et de ses devoirs pour bâtir un Etat de droit.
(*) Zoheir Rouis est membre du conseil politique de Jil Jadid.
(1) CNLTD : Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique créée par Jil Jadid, RCD, MSP, Ennahda et El-Adala et Ahmed Benbitour.
(2) ICSO : Instance de suivi et de coordination de l’opposition initiée par la CNLTD à l’issue de la rencontre de l’opposition à Mazafran et regroupant l’ensemble des partis et personnalités de l’opposition démocratique.
(3) Mazafran : Conférences de l’opposition à Alger, Zéralda.
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