Une contribution du Dr Arab Kennouche – Trump ou le retour des guerres chaudes
L’entrée en fonction de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis le 20 janvier 2017 aura certainement marqué les esprits observateurs de la scène internationale, notamment ceux qui s’attendaient à un rééquilibrage des puissances contre la vision unipolaire du monde qu’avait léguée l’ère Bush. Il faudrait, en effet, revenir sur les déclarations de campagne du candidat Trump à l’égard de la Russie et de l’Iran pour déjà soulever un premier paradoxe dans la conduite future des affaires étrangères de l’hyper-puissance américaine : comment tendre une main à la Russie tout en prônant un discours intransigeant et belliqueux à l’égard de l’Iran. Sachant l’alliance stratégique profonde entre Moscou et Téhéran, il nous paraît pour le moins inquiétant de réaliser combien la nouvelle Administration américaine compte se défaire de la soi-disant menace iranienne tout en se ménageant une politique de détente prolongée avec Moscou. D’aucuns penseraient à une véritable entourloupe, une anguille sous roche que même Vladimir Poutine n’aurait pas détectée. Il est vrai que Trump lui-même n’y est pas allé de main morte pour louer un Vladimir Poutine qualifié de «très intelligent» pour ne pas avoir expulsé les diplomates américains en représailles des mesures prises par Obama contre les réseaux russes. En prenant le contrepied des déclarations et des rapports de la CIA au sujet des élections américaines prétendument influencées par la Russie, Trump a signifié au président Poutine qu’ils seraient désormais au moins deux à gérer ensemble le monde. Mais qu’attend réellement Trump de Poutine pour qu’un tel revirement fasse autant l’effet d’une lune de miel pourtant rare entre les deux nations ?
L’Iran «menace essentielle» pour les Etats-Unis
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que c’est bien l’Iran qui pourrait faire les frais des yeux doux américains à l’égard de la Russie. La nouvelle Administration américaine sait pertinemment qu’Obama a échoué à faire plier la Russie dans le dossier syrien, si bien que le président syrien Bachar Al-Assad est sorti grand vainqueur dans sa lutte contre les factions armées islamistes manipulées de l’Occident. Le rôle de l’Iran est également loin d’avoir été négligeable en portant le feu défensivement dans tout le Proche-Orient depuis les confins de la Turquie et de l’Irak jusqu’aux frontières yéménites. Obama a profondément sous-estimé la puissance régionale iranienne dans le conflit syrien, ainsi que la détermination de l’axe irano-russe à briser les reins de l’islamisme radical et terroriste représentés dans l’alliance contre l’Etat syrien. C’est ici que s’insère la rhétorique trumpienne qui veut que l’Iran représente en soi une menace essentielle pour les Etats-Unis, étant les premiers sponsors du terrorisme international. Ce retour aux années Carter, et à une remise en cause de la Révolution islamique de 1979, est un moyen inespéré pour les Etats-Unis de Trump de continuer leur politique hégémonique dans les Etats du Proche-Orient, surtout dans l’environnement proche d’Israël, afin de lui garantir sa sécurité. Le plan Daech ayant échoué à briser la Syrie, il ne reste guère qu’à s’attaquer à la racine du mal, le «sponsor international du terrorisme», comprendre l’Iran, qui veut acquérir des armes atomiques. Il est évident que le nouveau président américain n’aura pas de mal à faire avaler la couleuvre au peuple américain d’une convergence des activités terroristes de Daech avec la rhétorique de la révolution islamique des barbus de Téhéran en guerre contre l’Occident. Si les Etats-Unis connaissent des attentats, c’est le fait de l’Iran, comme ce fut le fait d’Al-Qaïda. Ce qui finalement arrange les affaires de Tel-Aviv et d’un Netanyahou pressé de remettre définitivement en question l’Accord sur le nucléaire iranien, jugé défavorable pour Israël.
Ultra ou néoconservatisme : deux faces, une tête
Parier sur une présidence Trump étoilée de bonnes intentions à l’égard de l’axe russo-iranien serait donc faire fausse route. Le président américain actuel a déjà signifié au monde qu’il était un homme d’action plus que de discours. Il ne faudrait, par conséquent, pas se méprendre sur les futures décisions de politique étrangère que prendront les concepteurs d’un nouveau conflit larvé avec l’Iran qui cette fois-ci débouchera sur une guerre ouverte. Car finalement, même s’il existe une frontière idéologique entre l’ultraconservatisme évangéliste, d’origine chrétienne qui est représenté actuellement dans la Présidence Trump (avec des personnes comme Mike Pence, Tom Price), et le néoconservatisme de Bush et du PNAC (Project for the New American Century) très proche des conservateurs israéliens de Netanyahou, celle-ci reste fragile, ténue au point qu’une alliance objective entre faucons israéliens et extrémistes de droite américains se fera contre l’Iran.
En effet, face à l’échec du bushisme géré et assumé par Obama, d’un nouvel ordre mondial néoconservateur, la parade trouvée pour continuer cette politique expansionniste (voir l’agressivité américaine dans la mer de Chine et en Ukraine) semble poindre aujourd’hui à l’horizon : Trump reprend le flambeau de l’Empire sous couvert de protection de l’Amérique blanche chrétienne, menacée dans sa chair par l’hydre islamiste dont la matrice est iranienne. L’Amérique suprématiste blanche de Trump n’est donc que la continuatrice d’une politique impérialiste, qui converge avec les intérêts sionistes des néoconservateurs qui ont perdu la bataille de Syrie. On voit mal, en effet, comment le «christianisme» d’un Trump, entouré des Bannon, Mattis et autres requins de l’interventionnisme à outrance, converger avec celui d’un Vladimir Poutine qui pourtant partage le même livre saint.
Les déclarations d’amour de Trump à Israël prouvent à l’envi qu’une certaine rhétorique évangéliste n’est pas pour déplaire à un autre discours lui essentiellement axé sur la défense des intérêts d’Israël, surtout lorsque l’ennemi commun est tout trouvé, le terrorisme islamiste activé par Téhéran. Les néocons américains se seraient pour la circonstance drapés du nouvel étendard des croisés américains de l’évangile, après avoir épuisé leurs cartouches daechiennes. Une fois de plus, la Russie aura une partition à jouer des plus cruciales dans ce jeu de dupes : les concessions qui lui seraient éventuellement faites en Ukraine, au nom de la civilisation chrétienne, et en Crimée lui vaudraient de céder du terrain dans ses acquis stratégiques au Proche-Orient. C’est tout le paradoxe nourri par un Trump affecté par une Russie puissante et animé d’un esprit offensif à l’égard de l’Iran.
Le président américain semble cependant peu enclin à briser le bloc Russie-Chine-Iran, à moins qu’il ne soit mis devant le fait accompli d’une Administration nationale va-t-en guerre, qui nous rappellerait les plus sombres années des présidents Bush, père et fils. Quoi qu’il en soit, l’Iran est d’ores et déjà en ligne de mire, et les bruits de bottes qui se font entendre ne démentiront pas à l’avenir l’alliance objective entre ultras et néoconservateurs, selon que l’on se réfère à l’évangile ou à la torah. A moins que Poutine n’en propose une fois de plus une autre lecture, ce qui retarderait encore les plans américains d’un contrôle planétaire.
Dr Arab Kennouche
Comment (17)