Pourquoi ce silence médiatique sur la corruption ?
Par Youcef Benzatat – Il ne se passe pas un jour sans que des millions, voire des centaines de millions – pardon ! – des milliards et des milliards de dinars ne soient happés par la spirale de l’argent sale dans tous les coins et les recoins du territoire (des affaires) national. Le plus méprisant dans cette affaire d’affaires, c’est que ces milliers, voire des dizaines de milliers et plus encore, des centaines de milliers, allant jusqu’à des millions, si l’on considère que le corrupteur est au même titre un combustible actif au profit de cette gigantesque spirale d’argent sale qui gangrène l’essence même des relations sociales et qui déteint sur la population entière, s’auto-attribuent avec fierté le statut d’hommes d’affaires. Voilà l’affaire. Un statut devenu une valeur nationale et intériorisé par la population qui s’en est accommodée par résignation et surtout par nécessité, étant devenue la règle en s’imposant en tant que norme.
Etre homme d’affaires, c’est afficher fièrement sa capacité à pervertir publiquement la probité par son antonyme, la duplicité, défiant ouvertement le surmoi collectif et tout autre censeur ou moralité. Puisque la scène se déroule dans un Etat de non-droit où la justice obéit aux mêmes règles qui régissent ce monde d’affaires, qui donc pour juger du bien-fondé d’une telle valeur pervertie à outrance et intériorisée par la population entière. Les médias peuvent-ils survivre en autarcie et agir contre tous face à cet intrus anthropologique qui agit en mutant civilisationnel ? Le silence ça s’achète aussi sur le marché des affaires. A-t-on vu des comptes rendus sur ce monde corrompu remplir les colonnes des médias nationaux dits indépendants du système que régit cette justice ? Et pourtant, il suffit de s’assoir un bref instant dans n’importe quel café, partout sur le territoire national, et tendre l’oreille aux supplices et aux gémissements d’une population à vif de nerfs, pour assembler le puzzle de la honte qui gangrène la marche en avant de la construction de l’Etat, de la nation et du développement national.
Vous saurez tout. La hiérarchie des réseaux, leurs membres, leurs secteurs de prédation, les membres occultes et protecteurs, parrains disséminés dans les hautes sphères du pouvoir, leurs querelles intestines et leurs règlements de comptes conséquents et ainsi de suite. Il suffit à ces médias qui s’empressent de crier sur tous les toits du monde leur statut de contre-pouvoir de suivre l’odeur de l’argent pour rentrer à la rédaction avec une bonne cueillette à déguster entre gens de bonne famille et de pouvoir partager avec les voisins, comme c’était le cas au tournant de l’indépendance, avant que cette calamité ne s’abatte sur nous et ne paralyse la marche de notre glorieuse histoire, tombée – hélas ! – en désuétude en ayant fait de nous la risée des peuples.
Ainsi apprend-on aux alentours du gigantesque chantier de la ville nouvelle Ali-Mendjeli, à Constantine, devenue un terrain de prédation par excellence pour ces véreux hommes d’affaires, cupides, immoraux et de surcroît cyniquement et froidement ingrats envers la mémoire du chahid dont la ville porte le nom, s’y ruer pour arracher la moindre parcelle de la carcasse de la charogne qu’elle est devenue. La mafia du foncier fait rage et cela enrage encore plus la population, dont les éclats de voix jaillissent des cafés comme des coups de tonnerre, se consumant dans le paysage sonore sans pouvoir trouver d’écho pour durer efficacement et pouvoir donner le coup de grâce à cette meute de rapaces, ces fossoyeurs de l’espoir et des trajectoires tracées par les compagnons du chahid Ali.
Une véritable gangrène qui infecte tout sur son passage. Des acquisitions multiples dans le foncier à des prix bradés et revendues avant même de les avoir payées, avec des bénéfices se chiffrant en dizaines, voire en centaines de millions de dinars, sans autre effort que celui d’intégrer le bon réseau et de s’y maintenir en observant scrupuleusement le code d’honneur qui préside à la règle fondamentale à la base de tout fonctionnement de nos institutions et de l’Etat, à défaut d’un Etat de droit. Du côté du faubourg Zouaghi et au-delà d’Aïn El-Bey, des programmes sociaux de logements OPGI revendus par ciblage téléphoniquement. Des terrains destinés aux équipements, initialement prévus pour accompagner les besoins d’une population en constant accroissement, sont détournés pour construire des villas luxueuses, alors que la ville enregistre un déficit grave en matière de classes scolaires. La ville n’est dotée depuis longtemps que de deux écoles, alors que la population a doublé ! Des terrains agricoles requalifiés arbitrairement, en violation de tout principe de plan directeur d’urbanisme, pour permettre une redistribution de lotissements entre les différentes tentacules de la pieuvre du foncier. Il est question aussi de terrains appartenant à des proches de pontes du système qui ont bénéficié d’un traitement spécifique avec transformation des accès et de viabilisations particulières pour bénéficier de meilleures dispositions et de valorisations foncières.
Qu’on ne nous dise pas on ne sait pas qui vole quoi, le peuple, lui, le sait et le clame haut et clair dans les cafés et sur la voie publique. Mais pourquoi alors les médias dits indépendants ou libres ne disent rien ou pas grand-chose. Sont-ils si indépendants et si libres qu’ils ne le laissent croire, lorsqu’il s’agit de répercuter les conclusions fracassantes des journalistes du monde libre sur l’implication de quelques dignitaires dans l’un de ces réseaux de la pègre internationale du pétrole et que ce dernier en fait de véritables boucs et émissaires, des lampistes qui tombent à point pour se faire une virginité aux yeux de l’opinion nationale et internationale pendant que ceux-ci se prêtent volontairement à ce jeu sans aucune inquiétude ? Il y en a même qui songent se porter candidat à la présidentielle. Pourquoi pas ! N’est-ce pas que cet attribut principal, celui du corrompu des corrompus, est devenu dans notre société la valeur suprême pour être éligible à la place du premier magistrat de la nation ?
Il se peut aussi, c’est même certain, que nos journalistes tout frêles, sans aucune protection ni garanties sécuritaires, sont terrorisés à l’idée d’enquêter à une échelle de proximité et d’étaler sur les colonnes de leurs médias les frasques des mafias locales et les réseaux auxquels ils sont organiquement intégrés. Il y va de leur vie. Mais, alors, il faut le dire et ne pas tromper son monde avec des affabulations telles que de se prendre pour de véritables contre-pouvoirs. Mon œil !
Y. B.
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