Le double jeu de Médecins sans frontières (III)
S. Bensmail – Mis à part cette machine de propagande qui redouble d’effort dans la désinformation et la diabolisation, après la libération des quartiers est d’Alep (et non ce qui a été continuellement présenté comme sa «chute»), afin de préparer les esprits à la guerre directe[1], la question éthique et la responsabilité juridique de MSF (et d’autres consœurs) dans ce conflit demeurent clairement posées.
Ecoutons l’argument juridique de MSF au sujet de sa position en Syrie, ce jour du 7 octobre, où le Prix Nobel de la paix tant attendu n’est finalement pas attribué aux «Casques blancs» – nos chers anges gardiens qui se filment comme des sauveteurs tout en participant (en off) aux exactions contre les civils «pro-régime» et aux combats contre l’armée syrienne –, lors de l’émission «La grande table» de France Culture : «Syrie : faut-il repenser le droit humanitaire ?» :
«On sait que la population est privée de secours par l’Etat syrien, (…) les groupes d’opposition armée ont organisé les secours au titre de la protection civile avec l’aide d’une expertise britannique très militante, très engagée. (…) Il ne pouvait pas y avoir de secours parce que le gouvernement syrien (y) avait mis une série d’obstacles, (…) a interdit les secours (parce qu’) il (en) a confié l’intégralité au Croissant-Rouge syrien qui n’est pas une organisation neutre.»[2]
Ainsi, MSF ne reconnaissant pas ce droit à l’Etat syrien, sa directrice juridique poursuit :
«Nous avons toujours refusé de transiter par le Croissant-Rouge qui n’est ni impartial ni neutre. (…) Les Casques blancs ne peuvent pas être neutres puisque le gouvernement interdit la traversée de ces fameuses lignes de front.»
Le droit de soigner étant une obligation, cette directrice explique : «Donc nous agissons en territoire non gouvernemental.»[3] Pour elle, en effet, «c’est le concept de la guerre contre le terrorisme qu’il faut faire reculer, (…) il est totalitaire, fondé sur le concept sécuritaire (lui-même) totalitaire. (…) Il faut donc faire reculer les concepts de l’antiterrorisme (…) qui écrase le droit de la guerre».
Comme l’indique encore M.-A. Patrizio, selon donc le point de vue de MSF, le gouvernement syrien appliquerait le «concept totalitaire» de sécurité pour défendre son pays non pas contre le terrorisme, mais contre une «opposition modérée», et utiliserait «l’argument de la souveraineté» pour interdire aux ONG neutres et impartiales d’intervenir !
«Et c’est pour cela que ‘‘MSF réclame depuis le début de la guerre syrienne le droit de ne pas être considéré comme des criminels’’ : c’est-à-dire le droit d’ignorer la souveraineté de l’Etat syrien. Emportée par son rôle dans ‘‘Les trublions de MSF’’, la directrice juridique n’a plus de retenue : ‘‘Nous sommes allés deux fois au Conseil de sécurité dire que le secours médical doit avoir une exemption de toutes les législations contre le terrorisme, c’est pas compliqué quand même !’’… Surtout pour une ONG qui a gagné son Nobel de la paix à Grozny, contre la lutte antiterroriste ‘‘totalitaire’’ de Moscou et a un budget de ‘‘353,1 M €, à 96,3% d’origine privée’’ grâce à des donateurs non gouvernementaux, comme par exemple la fondation Clinton.»
Soupçonnant ainsi une opération déguisée des services secrets français, la réaction de Damas en février dernier (2016) ne s’est pas fait attendre lorsqu’elle a officiellement accusé ladite ONG. En effet, son représentant à l’ONU, M. Jaafari, a déclaré :
«Ce prétendu hôpital a été installé sans la permission du gouvernement syrien par le soi-disant réseau français appelé Médecins sans frontières qui est une branche des services de renseignement français opérant en Syrie. (…) Ils assument toutes les conséquences de cet acte parce qu’ils n’ont pas consulté le gouvernement syrien.»[4]
L’Iran et la Russie, alliés fidèles, mais exigeants vis-à-vis de la Syrie, n’auraient certes pas accepté une accusation mensongère de la part de Damas, au risque de voir leur action diplomatique discréditée auprès des instances internationales. Elles-mêmes en danger face à l’Empire, ces puissances savent que des preuves irréfragables pourraient être établies pour un éventuel démenti.
Il serait donc très intéressant d’approfondir et de rendre publique cette mise à l’index de MSF, outil comme tant d’autres de la finance anglo-saxonne et des services de renseignements[5], qui berne tant de crédules et draine toujours une grande part des dons publics et privés en France et ailleurs !
Dans une conversation récente, une responsable de MSF «section de Paris» m’a témoigné des coulisses peu glorieuses de la maison et de sa démission. Comment faire autrement quand l’on voit, exemple choquant, une jeune bénévole de 23 ans partir pleine de vie et d’énergie au Soudan et revenir comme un zombie, après avoir été violée dans l’impunité la plus totale ? Non seulement il n’y eut aucune réaction de MSF, soucieuse de rester sur le terrain et de ne pas fermer son antenne, mais aussi l’un des hauts responsables à Paris lui aurait rétorqué à son retour : «Mais arrête un peu ! T’es pas morte !!»
Les masques commencent à tomber, celui des ONG aussi
Signe avant-coureur d’un effondrement global de l’économie mondiale, mais aussi de beaucoup de mythes et de croyances politiques, idéologiques et culturelles que l’on a instillé depuis des décennies dans la tête des Etatsuniens et des Européens gavés de démocratie, de droits de l’Homme et d’ingérence (d’abord humanitaire puis militaire), tant de choses commencent à apparaître aujourd’hui sous leur vrai visage.
Lors de l’émission télévisée «C Polémique» du 15 janvier 2017, «Trump/Le peuple a-t-il toujours raison ?», Emmanuel Todd, historien et démographe issu du sérail, s’est exprimé dans un malaise général :
«C’est normal qu’on se pose cette question en France, puisque la France n’est plus une démocratie… Non la France n’est plus une démocratie, là on fait tous semblant, on est dans un monde d’illusion là, on est dans une comédie, on fait du théâtre. On remet en question la démocratie américaine qui renaît, et on fait comme si nous on était des démocrates. Mais en 2005, les Français ont voté ‘‘non’’ à un référendum, la classe politique s’est assise sur ce ‘‘non’’, et là on est dans une élection présidentielle où y a des types qui s’agitent dans des primaires de la droite, de la gauche, on fait comme si on avait des élections normales, ‘‘on va élire un Président’’. Mais en fait, la France n’a plus d’autonomie monétaire et c’est l’Allemagne qui va décider. La démocratie française, ce n’est pas la démocratie française, c’est un système qui va nous permettre d’élire notre représentant à Berlin. Donc on est vraiment des gros rigolos quand on met Trump en question.»[6]
Aux USA, au sein de l’Etat profond, la lutte des factions rivales des services secrets et du Pentagone a laissé apparaître avant l’élection de Trump une tentative de coup d’Etat informationnel – une première… – par Hillary Clinton en réaction à la divulgation du niveau exceptionnel de sa corruption (et de ses mœurs[7]), via sa fondation et son alliance à défaut de son allégeance, anciennes, avec notamment Wall Street et Georges Soros, les néocons adeptes du «chaos contrôlé» et le complexe militaro-industriel, ainsi que les conglomérats de médias.
Grand spécialiste du nouveau type de guerre appelée «hybride», A. Korkybow explique que, pour ces très puissants lobbies et d’autres encore, les ONG servent à «faire le saut» :
«Les ONG liées à des intérêts étrangers jouent partout dans le monde un rôle irremplaçable dans la fomentation de guerres hybrides. La loi de la guerre hybride dit que ces types de conflits sont des affrontements identitaires montés de toutes pièces qui reposeraient sur la perturbation, le contrôle ou l’influence de projets d’infrastructure multipolaires transnationaux conjoints, dans des Etats de transit clé, au moyen de stratégies de manipulation de régime, de changement de régime ou de reboot de régime (R-TCR). Ces trois tactiques pourraient également être décrites comme des concessions politiques, une transition de leadership, «pacifique» ou violente, ou une modification fondamentale de l’Etat par des moyens tels que son détournement sous pression vers une fédération d’identité facilement manipulable.» [8]
Il détaille plus avant :
«Quand une révolution de couleur avance vers une transition progressive de guerre hybride évoluant vers une guerre non conventionnelle, une grande partie de l’ancien agencement structurel qui tire les ficelles reste tout simplement en place, mais sous un autre nom. La plupart des réseaux d’ONG et leur personnel se transforment en insurgés armés ou fournissent aux combattants un soutien informationnel, organisationnel, logistique et/ou matériel.
Bien que les tactiques de R-TCR aient changé, le principe reste toujours le même, mais avec un afflux notable et moins secret d’aide étrangère (insurgés, armes) pour la poursuite de ces objectifs.
Toutes les ONG et leurs travailleurs ne sont pas liés à des intérêts étrangers et ne participent pas à des activités ouvertement séditieuses, mais il est fort à parier que bon nombre d’entre elles le sont d’une façon ou d’une autre, puisque, après tout, la seule différence entre les révolutionnaires de couleur et leurs homologues des guerres non conventionnelles sont les moyens qu’ils sont prêts à employer pour atteindre leur objectif commun, avec chaque main lavant l’autre dans l’exécution des tâches complémentaires à cette fin.»
Andrew Korybko nous rappelle :
«Il faut se souvenir que les guerres hybrides reposent sur une instigation depuis l’extérieur et la manipulation par la suite d’un conflit d’identité dans un état de transit ciblé le long de la voie d’un projet multipolaire transnational de premier plan concernant des infrastructures conjointes. Il est beaucoup plus facile de conceptualiser la fonction que les ONG liées à des forces étrangères hostiles qui ont intérêt à mettre cette séquence de ‘‘chaos contrôlé’’ en mouvement. Ces groupes sont chargés de provoquer un sentiment de séparation d’identité parmi la population, un sentiment manipulé par de l’ingénierie sociale dont les organisateurs pensent qu’il finira par transformer des citoyens patriotiques en sympathisants antigouvernementaux.»
S. Bensmail
(Suivra)
[1] En imposant graduellement des «corridors humanitaires» puis des «no fly zones» jusqu’à la survenue (éventuellement provoquée si besoin) d’un grave incident permettant l’entrée en guerre officielle
[3] Françoise Bouchet-Saulnier, directrice juridique de MSF, avec le professeur Pitti (UOSSM). Comme l’indique M.-A. Patrizio : «Le droit humanitaire a été créé par Henri Dunant au nom d’un Etat neutre, la Suisse. Il autorise les neutres à porter secours aux deux camps à la fois.» La Déclaration d’août 2015 permet de «mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, lorsque les autorités nationales échouent à protéger leur population du génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre». Ibid
[4] L’ambassadeur de Syrie à Moscou avait accusé l’aviation américaine d’avoir «détruit» l’hôpital soutenu par MSF, tandis que Washington a mis en cause le pouvoir syrien et son allié russe. M. Jaafari a réitéré cette accusation contre Washington, affirmant que Damas dispose «d’informations crédibles» à ce sujet. «Il est plus facile de diffamer le gouvernement syrien ou nos alliés», a-t-il ajouté. Cf. Sana, Agence gouvernementale syrienne, 17 février 2016
[5] Notamment français, dont les chefs sont devenus très atlantistes depuis «Sarko le yankee», http://www.bvoltaire.fr/georgesmichel/sarkozy-et-le-reve-americain,144276
[6] Lire aussi Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008.
[7] Voir le scandale du «Pizzagate» touchant à des réseaux supérieurs de pédocriminalité et l’enquête probante menée par l’apprécié Ben Swann sur CBS
[8] Andrew Korybko, «Les ONG et les mécaniques de la guerre hybride», in Oriental Review, 23 septembre 2016. Ibid