De la stabilité en Algérie : une Europe peu optimiste
Par Youcef-Oussama Bounab – Tandis que le Département d’Etat des Etats-Unis la qualifie dans son dernier rapport de «partenaire solide», l’Algérie, qui selon le même rapport joue «un rôle constructif» dans la promotion de la stabilité régionale, se voit menacée par le «risque d’implosion», selon les Européens, notamment Stephen Pollard, journaliste et écrivain anglais, et Pierre Defraigne, directeur général honoraire à la Commission européenne, qui, à l’image du vieux continent peut-être, sont peu optimistes à l’égard de leur lointain voisin, l’Algérie.
Dans son article «Après Alep, l’Algérie ?» paru dans La Libre Belgique, Pierre Defraigne théorise que l’Algérie attend «la mort clinique» de son Président Abdelaziz Bouteflika, dont la succession «va activer le conflit fondamental qui sourd (…) depuis trente ans entre les islamistes soutenus par l’Arabie Saoudite, et les militaires qui ont confisqué la révolution et gouvernent en cumulant corruption, impéritie et répression». Selon cet homme, «le risque d’implosion et de guerre civile est hélas très sérieux». Mais il paraît beaucoup plus concerné par «le problème des réfugiés» auquel l’Europe pourrait faire face, que par la stabilité du pays.
«L’Europe ne doit plus cette fois se laisser confronter à un nouvel Alep qui aurait pour cadre Constantine, Oran ou Alger», écrit-il. «Pour prévenir ce désastre à ses portes, (…) l’Europe doit impérativement se doter d’une défense commune par l’unification des forces armées existantes de ses Etats-membres dans le cadre de l’Otan», ajoute-t-il.
Pour sa part, tout en partageant le même «cauchemar», le journaliste et écrivain anglais Stephen Pollard n’a pas hésité d’y consacrer un long article sur The Spectator intitulé «Comment l’Algérie pourrait détruire l’UE». L’article met en doute la stabilité du pays après la mort de son Président et le poids que devra supporter l’Europe, le cas échéant. «Quand Bouteflika mourra, les islamistes vont essayer de s’emparer du pouvoir et l’Europe devra faire face à une autre crise de réfugiés», écrit-il. Ce dernier a même eu la témérité de donner des chiffres prévoyant que «10 à 15 millions» d’Algériens tenteraient de partir.
L’Algérie prête à devenir la nouvelle Syrie ?
Une vision simpliste ou pragmatique ? On ne peut le savoir que si «les islamistes s’emparent du pouvoir» et que «des dizaines de millions d’Algériens» fuient effectivement leur pays. Cependant, il reste important de noter que l’Algérie avait déjà fait face à des situations pas très agréables.
On spécule sur la chute de l’Etat algérien, comme on l’a fait d’ailleurs dans les années rouges de 1990 ou bien aussi après l’éclatement de ce qu’on ose qualifier de «printemps arabe», notamment dans les pays voisins : la Libye et la Tunisie. Cependant, bien qu’il y ait en effet de l’incertitude quant à la succession présidentielle, il n’est pas facile – compte tenu de l’histoire du pays et de son pouvoir de nature militaire – de lier la mort d’un Président à l’instabilité et au bouleversement de tout un Etat. Quand Boumediene est décédé en 1978, sa succession était certes problématique en raison de la rivalité entre Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, et le secrétaire général du FLN, Mohamed Salah Yahiaoui, à l’époque. Mais le conflit a été vite évité quand l’armée est intervenue en mettant en place un Président plus consensuel, Chadli Bendjedid.
«Le pouvoir en Algérie est toujours détenu principalement par les militaires, malgré les réformes plus fortes qu’auparavant qu’a faites la Présidence», souligne Dalia Ghanem-Yazbeck, analyste politique au Carnegie Middle-East Center. «En effet, même si des tensions existent entre une faction de l’armée et l’établissement politique, l’Armée nationale populaire demeure l’institution la plus forte du pays et est un acteur de premier plan dans la politique algérienne», précise-t-elle.
En ce qui concerne la mouvance islamiste dans le pays, il devient presque indéniable que cette dernière ne soit pas sur le point de connaître son heure de gloire ; faute de crédibilité, de «convergence», comme l’avait signalé récemment dans une interview à El-Watan le spécialiste des mouvements islamistes, Hmida Ayachi. «Les islamistes convergent idéologiquement et divergent historiquement», souligne-t-il.
«Il faut rappeler avant tout que l’islamisme politique a connu des transformations profondes depuis son apparition avec les partis et courants au lendemain de l’instauration du multipartisme en Algérie», dit-il. «On observe également chez eux l’abandon du discours islamo-idéologique au profit d’un discours néo-idéologique sous diverses couvertures à caractère social vague, comme le développement, la justice et la liberté. On peut finalement qualifier ces mouvements islamistes de FLN ablutionné», ajoute-t-il.
Malgré les protestations faites en ce début d’année contre la situation économique du pays, le peuple, qui est loin d’être conformiste, certes, ne cherche pas à résoudre ses problèmes par la violence. La mémoire des années 1990, qui ont fait des centaines de milliers de morts, reste vive.
Y.-O. B.
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