De la présence militaire française en Afrique
Par Amar Hellal – Bravo au professeur Mehenou Amouzou pour sa contribution qui a entraîné un fructueux échange d’opinions et de données sur la réalité des relations entre notre continent et la France. Il s’agit d’une réalité dont bien des aspects sont pénibles pour nous tous. Elle est très complexe et a de multiples dimensions. Le texte que je propose ci-après aborde l’une d’entre elle, celle des motifs de la présence militaire française en Afrique et notamment dans notre proximité immédiate, le Sahel.
Les attaques armées qui se sont produites ces dernières semaines au Sahel ont conduit plusieurs titres de presse à soulever la question de l’utilité du dispositif militaire français déployé dans cette région et ailleurs en Afrique et à s’interroger si un jour, que l’on souhaite le plus proche possible, la présence militaire française dans notre continent cessera et ne sera plus qu’un mauvais souvenir. A entendre les responsables politiques français, ce n’est pas pour bientôt. La déclaration faite par le ministre français de la Défense le 31 octobre dernier et annonçant la fin de l’opération Sangaris en Centrafrique, a fait naître un espoir qui n’a duré que quelques heures, puisque, plus tard dans la même journée, son Premier ministre a précisé publiquement que les unités militaires françaises faites de légionnaires ne quitteront pas la Centrafrique où leur présence, bien que coûteuse pour le Trésor français, à l’instar de tous les autres déploiements militaires français dans le monde, est exigée par les intérêts vitaux de la France.
La question se pose de savoir ce qui peut bien revêtir, en Centrafrique et dans bien d’autres Etats africains, une importance vitale pour la France, c‘est-à-dire ce qui est indispensable et essentiel à la vie de ce pays. La réponse est toute simple, mais très inquiétante. Elle conduit à prendre conscience de ce que par suite du caractère vital de ses intérêts en Afrique, la France fera tout, y compris ce qui est répréhensible et immoral, pour maintenir sa présence militaire sur notre continent où il n’y rien d’autre que le minerai d’uranium qui soit vital à sa survie. Celle-ci, en effet, dépend de l’accès permanent et sans aucune restriction au minerai d’uranium pour assurer la permanence de la dissuasion nucléaire française et le fonctionnement ininterrompu des centrales nucléaires qui couvrent 80% des besoins énergétiques français. On comprend pourquoi le Premier ministre français s’est précipité pour assurer que les forces françaises resteront en Centrafrique, où le rétablissement de la situation devrait permettre à la société française Areva de commencer l’extraction du minerai d’uranium du gisement de Bakouma, au sud de la province soudanaise du Darfour, que l’on dit riche elle aussi en minerais stratégiques et où sévit, en raison de cette richesse convoitée, un conflit tribal entretenu par des supplétifs locaux d’intérêts extra-africains.
C’est pour la même raison que des troupes françaises se trouvent à Arlit, au Niger, où elles protègent l’extraction du minerai d’uranium par, là aussi, la société française Areva, mais où leur présence, expliquée bien sûr par les besoins de la lutte antiterroriste, sert surtout, comme il s’est vérifié par la suite, à tenir éloignés les concurrents d’Areva, comme les sociétés canadiennes qui ont renoncé à s’implanter au Niger suite à l’enlèvement attribué à Al-Qaïda de plusieurs de leurs employés et représentants dans ce pays. Le même prétexte de la lutte antiterroriste est utilisé pour justifier le maintien au Mali, depuis maintenant cinq ans, de troupes françaises constituées, là aussi, de mercenaires de la légion étrangère, mais dont la mission, toujours liée à l’uranium, se situe non pas en amont, comme en Centrafrique et au Niger, mais en aval du traitement de ce minerai, puisque, on s’en rend compte maintenant, elle consiste essentiellement à interdire, y compris par l’usage brutal de la force, l’accès à un site d’enfouissement de déchets provenant des centrales nucléaires françaises.
On se rappelle qu’il y a près d’une vingtaine d’années, une très grande inquiétude avait été suscitée par une rumeur selon laquelle la Mauritanie avait accepté que des déchets nucléaires soient enterrés dans son désert. Cette rumeur s’est révélée fausse s’agissant du pays d’enfouissement, mais juste s’agissant du désert qui est, en fait, le désert non pas mauritanien, mais malien, dans un site où le groupe terroriste de Belmokhtar est installé et se trouvant à une trentaine de kilomètres au sud de Boudjebhia, localité située entre Tombouctou et Kidal. Google Map permet encore de visualiser l’endroit, même si dernièrement les images ont été recouvertes imparfaitement par le rajout de caches. Il faut dire qu’il y a une dizaine d’années, les habitants de Kidal avaient prétendu que de l’uranium avait été découvert dans leur région. Personne n’avait accordé le moindre crédit à ce qu’on pensait être un fantasme, alors qu’en fait, ils voulaient attirer l’attention sur les déchets nucléaires enfouis non loin de leur ville et sur l’installation dans le site d’enfouissement d’un groupe terroriste qui en interdisait l’accès en égorgeant quiconque en approchait.
A Tombouctou, on se rappelle encore, les terroristes de ce groupe, dirigé alors par le sinistre Bouzid, avait massacré et égorgé, en une seule fois, plus de trente habitants de cette localité qui étaient entrés dans la zone de Boudjebhia, à la poursuite d’autres membres du même groupe terroriste ayant assassiné un valeureux officier des forces armées maliennes dans son domicile à Tombouctou.
Plus à l’est, à Kidal, on précise que Bouzid, qui figurait sur les listes de terroristes dressées par l’ONU, est effectivement décédé, non pas au cours d’une opération des troupes françaises durant laquelle il aurait été abattu, mais à la suite d’un cancer provoqué par sa longue proximité avec les déchets nucléaires enfouis au sud de Boudjebhia. On affirme que plusieurs autres membres de son groupe ont connu la même fin. Il en sera certainement ainsi, soutient-on, de l’autre terroriste, Mokhtar Belmokhtar, qui a pris la succession de Bouzid dans la mission de protection du site de Boudjebhia et qui exécute ainsi un contrat lui procurant en contrepartie une immunité effective qui explique pourquoi il est parvenu à chaque fois à survivre aux attaques annoncées comme le ciblant et dont la médiatisation périodique est en fait destinée à réduire toute vigilance à l’égard de ses déplacements pour lui permettre de se rendre en toute quiétude au Qatar et y suivre des cures de radiothérapie. Il s’agit d’une immunité dont bénéficient tous les terroristes appartenant aux groupes de Bouzid et de Belmokhtar qui n’ont jamais été inquiétés par les autorités maliennes, malgré les demandes pressantes de l’Algérie et de la communauté internationale.
Les narcotrafiquants du Mujao bénéficient, eux aussi, du même régime, assorti de l’autorisation d’utiliser, au profit de ce qui avait été appelée «Air Cocaïne», les pistes d’atterrissage aménagées pour les avions ramenant les conteneurs de déchets. Ceci aide à comprendre pourquoi l’ancien président malien Atmane Toumare Touré dit ATT, avec l’accord et sous la protection duquel tout ceci s’était fait, bénéficie d’une immunité similaire et coule des jours tranquilles, sous la protection des légionnaires français, au Sénégal, alors que l’officier malien, tout aussi brave que celui assassiné par les terroristes à Tombouctou et qui l’avait démis du pouvoir à Bamako, est désormais menacé par le gouvernement français de traduction devant le TPI.
Les habitants de Tombouctou rappellent qu’il y a plus de trois ans, un deuxième massacre, après celui dont leurs parents ont été victimes à Boudjebhia, a eu lieu dans la même région où un avion espagnol assurant un vol entre Ouagadougou et Alger a disparu alors qu’il avait commencé à survoler le désert entre Tombouctou et la frontière algérienne. Il a fallu plusieurs jours de recherches avant que les débris de l’avion soient récupérés, on ne sait toujours pas où, et restitués par les forces françaises installées dans la région et qui sont parvenues à garder la boîte noire de l’appareil et à prendre la direction de l’enquête officielle ouverte, laquelle a abouti aux mêmes conclusions que celles concernant la perte survenue quelques mois plus tard d’un avion de German Wing assurant un vol de Barcelone vers l’Allemagne et qui a disparu lorsqu’il s’est approché du plateau d’Albion, autre site dans le sud-est de la France abritant un centre de tir de missiles nucléaires. La cause des deux accidents a été attribuée à une prétendue incompétence des équipages.
Plus récemment, deux journalistes de France Inter ont été assassinés dans le désert malien après avoir quitté la ville de Kidal pour enquêter sur le site de Boudjebhia. Depuis le mois d’octobre dernier, lorsque l’association des journalistes français avait saisi la justice de son pays lui demandant de clarifier les circonstances de leur décès, le plus grand silence est observé par les autorités françaises et maliennes à ce sujet. Il en est de même de la disparition, depuis le 25 décembre 2016, d’une employée humanitaire qui voulait elle aussi se rendre dans la région de Boudjebhia pour vérification de l’existence du site et a disparu après avoir quitté Gao en direction du nord.
Il y a à peine quelques jours à Kidal, des légionnaires français ont envahi le domicile du chef des Ifoghas, Yad Ag Ghali, et ont malmené son épouse ainsi que sa campagne qui est la veuve de feu Brahim Bahanga, un autre chef prestigieux des Ifoghas. Ils ont par la suite fouillé le domicile à la recherche de documents photographiques que Yad était supposé avoir obtenu du site de Boudjebhia et de conteneurs qui y sont enfouis. Il s’agit là du dernier fait d’armes des légionnaires au Mali.
A. H.
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