De la xénophobie à l’islamophobie : histoire d’une immigration indésirable en France
L’historien français Patrick Boucheron, titulaire de la chaire d’histoire au Collège de France, vient de publier un ouvrage intitulé Histoire mondiale de la France, présenté comme un «projet hors norme», rédigé sous sa direction par 122 historiens. Chacun a traité d’une date marquante de l’histoire de la France dans le monde. Au total, «146 dates portant sur des événements et attirant l’attention sur des événements», et qui «valorisent inévitablement une lecture politique et culturelle». L’immigration, dont celle en provenance d’Algérie, est naturellement présente en force dans ce livre.
L’auteur qui traite de l’immigration situe au milieu des années 1970, moment qualifié de «revirement» dans ce domaine, le réveil des «courants xénophobes» liés aux «inquiétudes économiques». L’Etat français affiche alors «sa volonté de maîtriser l’immigration, placée au centre du débat public». L’historien rappelle les principaux faits qui ont marqué ce tournant dans l’immigration, maghrébine particulièrement : montée de l’extrême-droite et de la xénophobie avec la création, en 1972, du Front national, puis le meeting «Halte à l’immigration sauvage !» à l’initiative des néofascistes d’Ordre nouveau en juin 1973, ainsi que la réapparition des violentes «ratonnades» que les Algériens avaient déjà subies avant l’indépendance.
Dans la même période, la société française, souligne l’auteur, ferme ses portes à l’immigration de travail sur la base des circulaires Marcellin (ministre de l’Intérieur) et Fontanet (ministre du Travail), en 1972, qui subordonnaient le recrutement de travailleurs étrangers à la situation de l’emploi en France et la carte de séjour à la détention d’un emploi. Ces mesures visaient surtout à «contingenter les flux d’immigration des Algériens». L’auteur rappelle que «faute de parvenir à un accord avec les autorités algériennes, cette limitation s’effectue de façon unilatérale, d’abord à l’encontre des “faux touristes” en octobre 1964. L’année suivante, les restrictions sont étendues à l’arrivée des familles algériennes, sans que les autres nationalités soient concernées».
En 1974, la politique française connaît une plus grande sévérité en la matière, par l’arrêt de toute nouvelle immigration et par un contrôle rigoureux des entrées et des séjours et, surtout, l’encouragement à des retours volontaires des immigrés dans leur pays d’origine (au «douar»). Un secrétariat d’Etat aux Travailleurs immigrés est créé en juin 1974 et, un mois après, le gouvernement français décide de suspendre l’immigration des travailleurs et des familles. L’auteur signale que cette décision parachève un processus engagé plusieurs années auparavant. «Aucun gouvernement n’a plus remis en cause le principe de la maîtrise des flux migratoires», souligne l’auteur. Pour lui, «le principe de la “maîtrise des flux” est désormais entériné au plus haut niveau de l’Etat».
En juillet 1984, l’instauration d’une carte de résident de dix ans, qui donne le droit d’exercer la profession de son choix sans autorisation, marque, selon l’auteur, «une étape importante» dans la politique d’immigration. Celle-ci va cependant se durcir avec les succès électoraux du Front national servi par un renforcement du discours hostile à l’immigration.
A la suite des attentats perpétrés en France, qui ont fait plusieurs centaines de victimes, «l’enjeu du débat public s’est déplacé pour porter désormais sur l’identité nationale et la place de l’islam». En 2015, «l’idée d’une France ouverte et de toutes les couleurs» est déjà érodée, constate, en conclusion, l’auteur. C’est l’ère de l’islamophobie.
Houari Achouri
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