Roosevelt House : débat sur le Sahara Occidental à New York
Le think tank américain Roosevelt House a organisé à New York un débat sur le Sahara Occidental, dernière colonie d’Afrique, pour briser le silence autour des violations des droits de l’Homme dans les territoires occupés imposé par le Maroc. La table ronde a rassemblé des représentants d’ONG et d’associations américaines à l’instar de Human Rights Watch (HRW), Democracy Now et Watching Western Sahara. La rencontre a été l’occasion d’évoquer le blocus médiatique imposé par les autorités marocaines pour passer sous silence les exactions commises contre les Sahraouis.
Les campagnes de répression et les pratiques inhumaines demeurent encore méconnues de l’opinion internationale, Rabat continue de verrouiller l’accès des journalistes et des représentants des ONG à Laâyoune, ont relevé les panélistes. Rien qu’en 2016, les autorités marocaines ont empêché 85 journalistes et défenseurs des droits de l’Homme d’accéder aux territoires occupés, a indiqué Madeleine Bair, directrice de rédaction du site Watching Western Sahara (Suivre le Sahara Occidental), un réseau international de journalistes qui traite et expose des vidéos sur les violations des droits de l’Homme commises par le Maroc.
Le blocage dans l’accès à l’information a concerné, entre autres, une ONG norvégienne et deux journalistes espagnols qui se sont rendus l’année dernière au Sahara Occidental pour couvrir le procès des prisonniers politiques sahraouis, a ajouté Mme Bair citant des constats établis et consolidés par plusieurs ONG. Les correspondants étrangers sont devenus ainsi une cible directe des forces de police marocaines qui leur interdisent le droit à l’image et l’accès à l’information. Devant ce black-out imposé aux représentants des médias étrangers, les militants sahraouis et les acteurs du journalisme citoyen ont recouru à leurs propres moyens pour documenter et filmer les abus des droits de l’Homme commis dans les territoires sous occupation marocaine, a ajouté Madeleine Bair.
Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW, a affirmé qu’il était difficile de documenter la situation des droits de l’Homme au Sahara Occidental occupé en raison des obstacles dressés au travail des ONG. Les autorités marocaines avaient expulsé en 2015 des membres de HRW et suspendu toutes les activités de l’ONG américaine au Maroc pour avoir qualifié dans ses rapports la présence marocaine au Sahara Occidental d’occupation, a rappelé Goldstein, modérateur de ce débat.
En expulsant les journalistes et les militants des droits de l’Homme, le Maroc veut avoir le monopole sur les rapports produits sur le Sahara Occidental, a précisé Sandra Lynn Babcock, professeur de droit à Cornell University. C’est ce qui explique l’acharnement des autorités marocaines contre toute partie souhaitant rapporter fidèlement la réalité dans les territoires occupés, a-t-elle ajouté, estimant, par ailleurs, que le droit international et les différentes résolutions de l’ONU ont affirmé le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. «Il n’y aucune ambiguïté sur ce sujet», a-t-elle insisté.
Amy Goodman, présidente de l’ONG américaine Democracy Now qui a réussi à entrer à Laâyoune en novembre 2016 après sa participation à la COP22 sur le climat, est revenu au cours de ce débat sur ses rencontres avec les victimes de tortures au Sahara Occidental occupé. Goodman a rapporté les témoignages bouleversants de ces victimes que les autorités marocaines tentent d’occulter par tous les moyens.
La rencontre de Roosevelt House a enregistré, par ailleurs, la participation du président de l’Association des sahraouis à New York, Mohamed Ali Arkoukoum, et celle de l’ancienne présidente de New York City Bar Association, Katlyn Thomas.
Aucune volonté marocaine pour mettre un terme à l’occupation
Le peuple sahraoui n’a encore vu aucun signal du côté marocain pour mettre un terme à son occupation du territoire du Sahara Occidental, a déclaré le délégué auprès de l’ONU du Front Polisario, seul représentant légitime du peuple sahraoui, Ahmed Boukhari, à la télévision britannique BBC. «Nous n’avons pas encore vu de la part du Maroc des déclarations publiques encourageantes qui pourraient indiquer la volonté de Rabat de mettre un terme au conflit au Sahara Occidental l’opposant au Polisario», a souligné M. Boukhari. Pourtant, a-t-il dit, l’adhésion du Maroc à l’Union africaine (UA) pourrait être «une opportunité» pour résoudre le conflit du Sahara Occidental, pour peu que Rabat ne joue pas à un jeu «trouble» et «douteux».
Se basant sur les antécédents de l’occupant, M. Boukhari remet en doute l’«honnêteté» et la «franchise» du Maroc, évoquant même des «intentions non avouées» de ce pays nouvellement arrivé au sein de l’UA. Il a précisé que le peuple sahraoui n’a jamais fait confiance à l’occupant, mettant en garde contre toute éventuelle stratégie marocaine non conforme à la Charte de l’UA, notamment à son article 4 concernant directement le peuple du Sahara Occidental. L’article 4 de la Charte de l’UA considère que les frontières des Etats membres sont celles acquises le jour de l’accession à l’indépendance. Celles du Maroc datent de 1956, ce qui exclut clairement les territoires du Sahara Occidental de son autorité.
«Nous allons suivre de près toute déclaration ainsi que tout mouvement politique et diplomatique du Maroc. S’il s’avère qu’il cache des intentions de trahison, les Etats membres de l’UA ne l’accepteront pas.» M. Boukhari a encore expliqué que l’adhésion du Maroc a été faite sur la base de son approbation de la Charte de l’UA qu’il a signée et il doit par conséquent respecter son engagement. «A la base, tous les chefs d’Etat africains étaient unanimes à dire qu’être membre, c’est accepter la charte. Ne pas respecter cette charte a des conséquences politiques, et c’est aussi trahir tous les Etats membres de l’union», a-t-il affirmé.
Pourtant, il estime qu’avec le Maroc au sein de l’UA, «des contacts et des négociations pourraient être engagés pour des perspectives et des solutions» au conflit du Sahara Occidental. M. Boukhari pense aussi que l’adhésion du Maroc pourrait permettre une coopération «plus active entre l’UA et l’ONU en vue d’accélérer la mise en œuvre du plan de paix élaboré conjointement par les deux organisations». Le représentant du Polisario a relevé, par ailleurs, que les Sahraouis n’étaient pas contre l’admission du Maroc à l’UA et ont juste posé la condition qu’il accepte la Charte sans aucune condition de sa part. Il a également exprimé sa confiance en le nouveau Secrétaire général de l’ONU, souhaitant qu’il soit «épargné de la stratégie de l’intimidation exercée auparavant par le Maroc sur Ban Ki-moon».
Le 21 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu que la présence marocaine au Sahara Occidental est «illégale du moment qu’il s’agit d’un territoire distinct et séparé du territoire du Maroc, réaffirmant ainsi le sens de l’article 4 de la Charte de l’UA», a rappelé M. Boukhari à la BBC. Il a conclu que «la balle est dans le camp marocain» pour prouver sa bonne intention à résoudre dans la légalité le conflit du Sahara Occidental en respectant l’indépendance et l’intégrité territoriale de ce pays qu’il colonise depuis 1975 avec le soutien de la France.
R. I.
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