Une contribution du Dr Arab Kennouche – Algérie française : crime contre l’humanité
Finalement, ce sera du bout des lèvres d’un jeune candidat à la présidentielle française que l’Algérie éternelle aura appris son appartenance à l’humanité entière. Plus d’un siècle de colonialisme et seulement une soixantaine d’années d’indépendance politique auront eu raison des dernières réticences françaises à admettre leur rôle criminel dans la soumission et l’exploitation d’une nation entière sous couvert de civilisation : peu importe la personne qui en fit la déclaration, le refoulé du génocide algérien implique désormais tous les acteurs de la vie politique française jusque dans la conscience nationale.
Emmanuel Macron, né en 1977, n’a pourtant aucun lien direct avec cette partie de l’Histoire de France, et en saisissant l’anse du crime contre l’humanité, il ne se doutait pas qu’il allait mettre le doigt sur une plaie encore toute béante, faite de déni, d’occultation et de malhonnêteté intellectuelle. Sauf que Macron n’est certainement pas dupe au point d’oublier cette conscience collective dont il nourrit l’existence par son rôle politique grandissant et la nouvelle marche qu’il tente d’impulser à la France, soucieuse d’apporter un traitement de fond à ses banlieues radicalisées. Il fallait que cela sorte un jour comme une blessure morale mal assumée qui jaillit à la conscience.
L’hypnose du PS et du RPR ainsi que celle de leurs avatars post-chiraquiens et mitterrandiens n’auront que trop duré : à trop vouloir occulter l’innommable, à trop vouloir nier l’évidence par un jeu subtil de responsabilité morale adossé à un combat civilisateur, à trop vouloir prétendre les vertus «tout de même» positives de la présence française en Algérie, on a sciemment dissimulé des millions de morts massacrés simplement pour ne pas avoir accepté l’ordre français. Certes, il était de bon droit de vouloir trouver des justifications morales et autant de circonstances atténuantes dans la matrice même de la civilisation chrétienne ou d’un progrès social et technique issu des Lumières : l’âme algérienne s’est rendue sensible aux récriminations morales invoquées par de nombreux responsables français, de passage à Alger, se faisant justice d’une présence sanglante mais «tout de même» bienfaitrice.
«Tout de même»
C’est ce «tout de même» qui a permis à des générations entières d’hommes politiques français de se refaire une virginité auprès de la vieille garde du FLN, non moins insensible à un argumentaire qui semblait venir du fonds de cette vieille nation chrétienne, aimant à se montrer charitable et désireuse de bien faire. Les élites algériennes n’ont jamais su répondre convenablement à cette commisération envers les victimes algériennes bien hexagonale, expression d’un sang immaculé de la Vierge Marie se confondant fatalement avec celui de soldats français ou, mieux, de martyrs algériens.
Dans le «tout de même» compassionnel des élites politiques françaises qui perçoivent comme un crime le fait même de pouvoir en être, comme les nazis, il y a toute une gamme de sentiments entremêlés dont les élites algériennes ont eu du mal à se départir : volonté de bien faire, sentiment de responsabilité historique, guerre inéluctable, violence limitée, voire acceptable, tout a été dit, éprouvé, distillé pour que l’Algérien ne se perçoive pas si maltraité que cela par la muse de l’Histoire. Au fil des ans, l’Algérie indépendante s’est retrouvée prise au piège d’un mélodrame bien travaillé par la partie française, sûre de son rôle positif en Afrique du Nord, alors que les élites nord-africaines exposaient maladroitement leurs griefs dans une méconnaissance fondamentale des enjeux politiques encore incandescents de la tragédie coloniale.
Jusqu’aux déclarations d’Emmanuel Macron, la France, sans aucun doute, a su transformer son entreprise génocidaire inavouée (l’intention même partielle suffit dans ce cas) en Afrique en vaste fresque civilisatrice digne des plus grands peintres de la Renaissance italienne. Elle est devenue martyre en lieu et place des grands révolutionnaires algériens qui, depuis la nuit des temps, combattirent l’envahisseur.
Le briseur des tabous, Macron
Les grandes batailles pour la libération du pays, les grandes révoltes qui émaillèrent le territoire du Nord au Sud depuis 1830 ont été récupérées au nom d’une martyrologie française entendue comme un sacrifice ultime de la nation en terre africaine pour un progrès technique et social indéniable. La classe politique algérienne s’est vite trouvée désemparée devant autant de certitude et de dextérité à promouvoir la déesse de l’Histoire : il fallait du sang français mêlé à du sang algérien dans autant de faits d’armes et de massacres pour qu’en découle un processus civilisateur, de nature providentielle, qui échappe donc à toute responsabilité morale et individuelle mais qui bénéficie aux deux nations. Histoire romantique, stylisée qui fit obstacle à l’expression politique d’une réparation juste et équitable, dans le droit fil de la philosophie de Nuremberg, et qui finit par incommoder la partie algérienne au point qu’un projet de loi parlementaire visant à criminaliser le colonialisme fut lamentablement abandonné par les victimes même de cette barbarie.
Aujourd’hui, la France refuse cyniquement de se reconnaître coupable, non qu’elle ne sache rien de ses crimes mais plutôt parce qu’elle a réussi à faire naître le doute chez l’Algérien en général, sur ses réalisations techniques et son héritage industriel, économique, laissé aux mains des libérateurs. Macron aura donc brisé le tabou d’une Algérie victime de crimes contre l’humanité, en brossant un nouveau portrait de la colonie, cette fois sans le vernis d’un mauvais Goya, sans l’exotisme africain d’un Delacroix, par une focalisation sur les véritables souffrances humaines dignes des plus grands massacres de l’histoire moderne d’Oradour-sur-Glane à Treblinka, qui, aujourd’hui, traumatisent encore le peuple algérien. Mais cette éruption de vérité, venue de la partie française, en dit long sur la stratégie du silence complice des élites algériennes qui semblent avoir abandonné au plan politique le combat libérateur, universel contre toutes les formes de génocide, d’apartheid, de domination insidieuse qui avaient fait la grandeur du FLN.
Du danger de l’assimilation, version culturelle
Les propos de Macron n’auront toutefois guère d’incidence tellement le mal de l’assimilation forcée est profond et encore sous-estimé par la partie algérienne. L’Algérie comme tant d’autres nations africaines continue de subir une seconde colonisation culturelle, alors qu’elle peine à se reconstruire une identité proprement algérienne. Nous payons encore trop cher le fait d’être complètement imbibés de culture française par la langue sans jamais pouvoir être entièrement reconnus ni par la France jalouse de son identité ni par une Algérie qui ne sait plus vraiment qui elle est : un écartèlement entre deux mondes qui nous situe finalement nulle part et qui laisse ouverte la porte d’une conquête toujours plus puissante des esprits en Algérie. La France culturelle revient en force depuis quelques décennies déjà : elle a su reconstituer les conditions d’une influence toujours plus grande et pernicieuse par un vaste réseau de supports médiatiques et financiers qui aspire toute une nation tout en la maintenant à l’écart. Le véritable sens de l’assimilation, versant culturel de la colonie, émerge comme un crime aussi puissant qu’une douleur aigüe car, même sourde, elle provoque autant de mal sur des générations à venir, perdus entre leur désir vital d’algérianité et l’imposition d’un modèle culturel exogène et, surtout, dominateur.
Dr Arab Kennouche
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