L’expert Ilyes Zouari à Algeriepatriotique : «La dette publique algérienne est une des plus faibles au monde» (I)
L’administrateur de la revue Population & Avenir, spécialisée en démographie et en géographie humaine, réfute le stéréotype qui consiste à présenter l’Africain «comme un éternel mauvais gestionnaire criblé de dettes». Il considère que «ceci est une caricature très répandue, mais dépassée, et que l’on pourrait presque considérer comme raciste». Interview.
Algeriepatriotique : Selon le rapport de la Banque mondiale publié en janvier dernier et intitulé «Perspectives économiques mondiales», l’Algérie a réalisé une croissance de 3,6%, ce qui la place comme la meilleure performance du Maghreb et de l’ensemble des pays exportateurs de pétrole d’Afrique du Nord. Comment expliquez-vous cette croissance dans un contexte économique difficile causé notamment par la chute des prix du pétrole ?
Ilyes Zouari : L’Algérie vient, en effet, d’enregistrer la meilleure performance du Maghreb, mais également de l’ensemble des pays arabes exportateurs d’hydrocarbures, hors cas particuliers des pays en guerre dont la croissance est par définition très fluctuante (Irak, Yémen et Libye). Ceci confirme donc la tendance positive déjà observée en 2015, année où seuls les Emirats arabes unis avaient fait mieux. Tout cela est le résultat des efforts réalisés depuis plusieurs années en matière de diversification, et qui ont notamment consisté à développer différents secteurs vitaux, de l’agriculture et des industries agroalimentaires aux industries pharmaceutiques, par exemple. Ainsi, et à défaut de pouvoir encore exporter différents biens vers les marchés extérieurs, en dehors des hydrocarbures, le pays s’est fixé pour objectif de pouvoir au moins couvrir une partie grandissante de ses besoins. Ceci constitue une première étape nécessaire, en espérant que cela ne s’arrête pas là.
A cela s’ajoutent d’autres efforts non négligeables visant également à mieux amortir les variations à la baisse des cours des hydrocarbures et à soutenir la consommation, comme la création du «Fonds de régulation des recettes» (FRR) en l’an 2000. Ce dernier s’ajoute aux très importantes réserves de change que le pays a su mettre de côté, bien davantage que les deux autres principaux producteurs africains d’hydrocarbures que sont le Nigeria et l’Angola (qui ont enregistré respectivement une croissance de -1,7% et de 0,4% en 2016), ou encore le Venezuela qui se trouve dans une situation économique dramatique que l’Algérie n’a jamais connue dans toute son histoire récente. Ce pays a d’ailleurs vu ses réserves de change atteindre une minimum historique de seulement 11 milliards de dollars fin 2016, contre 114 milliards pour l’Algérie qui est pourtant un tiers plus peuplée. Enfin, rappelons que la dette publique algérienne est une des plus faibles au monde, située à seulement 9% du PIB (soit dix fois moins que la France ou que le Royaume-Uni), ce qui lui donne aussi une marge de manœuvre supplémentaire.
L’Algérie réalise donc désormais une croissance annuelle hors hydrocarbures comprise entre 5 et 6%, ce qui a contribué à réduire la part des hydrocarbures dans le PIB à environ 30% aujourd’hui. Certes, ce taux est encore assez élevé, mais il dépassait largement les 50% il y a une quinzaine d’années, une époque où le pays connaissait facilement une croissance négative lorsque les prix des matières premières étaient à la baisse. L’Algérie d’aujourd’hui n’est donc plus celle de la fin du siècle dernier. Même s’il est évident qu’il reste encore beaucoup à faire, comme en témoigne la part encore extrêmement élevée des hydrocarbures dans les exportations ou encore le grave déficit budgétaire que connaît actuellement le pays, il est cependant très important de savoir aussi mentionner les choses positives : il en va de l’image et de la réputation du pays et de son peuple, condition sine qua non pour que les étrangers s’intéressent à l’Algérie et aux Algériens et contribuent ainsi à mettre en place un cercle vertueux de nature à accélérer le développement du pays. C’est aussi cela être patriote.
Le même rapport souligne également les bons résultats obtenus par les économies de la zone Cédéao. Quel est, selon vous, le grand secret de la croissance que connaissent depuis plus de trois années les pays francophones de l’Afrique subsaharienne ?
En fait, c’est la zone UEMOA qui est concernée par cette forte croissance, c’est-à-dire la partie francophone de l’espace Cédéao (hors Guinée). Par ailleurs, ce dynamisme concerne l’ensemble de l’Afrique subsaharienne francophone qui a affiché les meilleures performances économiques du continent pour la troisième année consécutive et pour la quatrième fois en cinq ans. En 2016, la croissance globale de cet ensemble de 22 pays, regroupant 290 millions d’habitants, a été de 3,7%, tandis qu’elle a été de 0,8% pour le reste de l’Afrique subsaharienne.
Pour revenir à la vaste zone UEMOA, celle-ci constitue la partie la plus dynamique du continent avec une croissance de 6,3% en 2016 et une moyenne identique sur les cinq dernières années (chiffres arrondis à une décimale). Ceci est le résultat de la combinaison de différents facteurs, externes et internes. Pour les premiers, on peut citer en particulier la baisse des prix des matières premières (pour cette partie de l’Afrique qui en importe plus qu’elle n’en exporte) ainsi que le niveau favorable de l’euro par rapport au dollar, contrairement aux quelques années précédentes où il était anormalement trop fort et portait parfois préjudice à la compétitivité des pays de la région (le franc CFA étant arrimé à l’euro). A ces éléments externes (auxquels on peut ajouter la stabilité monétaire et la faible inflation apportées par le franc CFA) s’ajoutent également la croissance générée par les grands projets d’infrastructures ainsi que les effets des différentes mesures prises par la majorité de pays de la région en matière de diversification (industries agroalimentaires, chimiques et métallurgiques, voire textiles dans certains pays…) et d’amélioration du climat des affaires. Sur ce dernier point, certains pays ont fait un bond spectaculaire entre les versions 2012 et 2017 du rapport Doing Business de la Banque mondiale, comme la Côte d’Ivoire, passée de la 167e à la 142e place, et le Bénin, passé de la 175e à la 155e. Bien sûr, cela peut paraître encore insuffisant, mais il convient alors de rappeler que le Nigeria, première économie africaine, se classe encore à la 169e place, et que l’Angola, troisième économie subsaharienne, occupe la 182e place.
Ainsi, il ne faut jamais sous-estimer l’impact que peut avoir l’action gouvernementale sur le développement d’un pays. Citons l’exemple du Sénégal qui, suite au changement de gouvernement de 2012 et à la mise en place du «Plan Sénégal émergent» (PSE), est rapidement passé d’une croissance annuelle molle d’environ 3% à une croissance de 6% par an. D’ailleurs, les efforts en matière de diversification expliquent la bien meilleure résistance de la majorité des pays francophones subsahariens exportateurs de pétrole à la chute des cours, notamment le Gabon et le Cameroun qui ont réalisé respectivement une croissance de 3,2% et de 5,6 en 2016 grâce à aux ambitieux programmes «Plan stratégique Gabon émergent» et «Cameroun émergence 2035». Autre exemple intéressant que l’on peut citer, le récent projet ivoirien «Un citoyen, un ordinateur» a pour particularité que les ordinateurs seront en bonne partie fabriqués localement grâce à une usine d’assemblage qui produira 2 000 unités par jour (entre ordinateurs, tablettes et Smartphones) et qui s’inscrit dans le cadre d’un projet école-usine-incubateur. Ce genre d’initiative courageuse contribue au dynamisme de ce pays, qui affiche désormais une croissance de 8% par an.
Dans votre analyse du rapport en question, les pays subsahariens, qui ont enregistré une nette croissance, risquent d’augmenter la pression migratoire en provenance du reste du continent africain. En quoi cette pression migratoire menacerait-elle la croissance ?
La pression migratoire ne constitue pas une menace immédiate sur la croissance, mais elle peut à terme, et si elle est massive, mettre en danger la stabilité d’un pays et donc son développement. Par ailleurs, l’intégration réussie des immigrants, du moins pendant les deux ou trois premières décennies de leur installation, est toujours conditionnée par la réalisation de bonnes performances économiques. Sans elles, peuvent apparaître de graves tensions, comme on l’a vu récemment en Afrique du Sud vis-à-vis des immigrés en provenance d’autres pays d’Afrique australe.
Pour revenir à l’Afrique francophone, celle-ci connaît déjà depuis longtemps une importante pression migratoire en provenance du reste du continent et qui peut aller en augmentant à la suite de ses bon résultats économiques. Notamment au sein de l’espace Cédéao qui consacre la liberté de circulation et de résidence pour les ressortissants des pays membres et où les écarts de croissance sont considérables, y compris avec un pays comme le Ghana dont la croissance a été plus de deux fois inférieure à celle de la Côte d’Ivoire voisine sur ces trois dernières années. D’autant plus que les prévisions pour l’année en cours demeurent assez pessimistes pour la Gambie (0,8%), mais aussi pour le Nigeria (1,0%), pays le plus peuplé du continent et qui compterait déjà plus de 500 000 ressortissants en Côte d’Ivoire. Ces derniers s’ajoutent à une communauté nigériane d’au moins deux millions de personnes se trouvant au Cameroun, pays non membre de la Cédéao, mais limitrophe, et dans lequel ils représentent déjà au minimum 10% de la population du pays.
Rappelons au passage que près de 90% des flux migratoires originaires de pays d’Afrique subsaharienne ont pour destination d’autres pays subsahariens, contrairement à ce que l’on pourrait croire en consultant les médias non africains.
La croissance qu’enregistrent les pays africains francophones a-t-elle vraiment un sens quand on sait que la plupart d’entre eux sont considérés comme les pays les plus pauvres de la planète et croulent sous d’énormes dettes ?
Le fait que les pays francophones subsahariens soient pauvres explique naturellement, en bonne partie, leurs forts taux de croissance. Pour autant, ceci ne retire rien à leur mérite puisque les pays non francophones du continent, également très pauvres, réalisent globalement de moins bonnes performances. A l’exception de quelques pays situés en Afrique de l’Est, et en particulier l’Ethiopie qui demeure toutefois l’un des pays les plus pauvres du continent, malgré plus d’une décennie de très forte croissance (620 dollars par habitant début 2016). Ce qui démontre que ce pays ne fait que rattraper le retard considérable qui était le sien. Par ailleurs, le cas éthiopien démontre aussi qu’il est nécessaire d’être patient pour constater une amélioration réelle du niveau de vie global de la population. Il s’agit là d’un processus long qui peut prendre de nombreuses années, lorsque l’on part de très bas.
Enfin, pour ce qui est de la dette des pays africains, ceci est une caricature très répandue, mais dépassée, et que l’on pourrait presque considérer comme raciste, car consistant à présenter l’homme noir comme un éternel mauvais gestionnaire criblé de dettes. La réalité est que l’endettement des pays africains est globalement assez maîtrisé, et en particulier chez les pays francophones où il se situe en général entre 30 et 60% du PIB, soit deux fois moins que chez les pays européens, par exemple. D’ailleurs, il convient de noter que seuls deux des dix pays africains le plus endettés sont francophones, le premier étant le Congo qui occupe la 8e place (67% du PIB, selon le rapport du FMI d’octobre dernier). Au passage, si la dette du Congo a augmenté de moitié ces deux dernières années avec la chute des cours du pétrole, il convient de rappeler que celles de l’Angola et du Mozambique ont presque doublé sur la même période, pour se situer respectivement à 78% et à 113% du PIB, selon le même rapport.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et Khider Cherif
(Suivra)
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