La colonisation dans le prisme du TPI et la réconciliation
Par Youcef Benzatat – Que peut un verdict sur les crimes contre l’humanité commis par la colonisation, notamment sur la réconciliation des victimes avec leur mémoire et leur histoire ? Le génocide des Zaâtchas parmi tant d’autres. [Le premier grand massacre de la colonisation eut lieu dix-sept ans après l’occupation, à Zaâtcha. «La population de tout le ksar a été passée au fil de l’épée, femmes, enfants, vieillards. Tout a été rasé.» Selon le témoignage d’un colonel de l’armée d’occupation, cité en appui, il y eut plus de deux mille morts dans le seul ksar de Zaâtcha. «On marchait sur du sang, les cadavres empêchaient de passer. On dit que pendant longtemps, la ville sentit la mort et je ne suis pas sûr que l’odeur ait entièrement disparu. Quand on eut enfoui tous les morts, il ne resta plus personne dans la ville, excepté les douze cents hommes de la garnison.»] (R. Mahmoudi citant Maître Zohra Mahi.)
Quelques survivants ont pu tout de même échapper à ce génocide pour aller nomadiser vers le nord. Ils finirent par s’installer dans le Sud constantinois, dans un lieudit Ouled Rahmoun – une tribu qui est venue s’installer, elle aussi, plus tôt, en nomadisant de l’enclave entre Biskra et les portes du désert où vivaient un groupe de tribus dont celle des Zaâtcha. On a appelé les survivants de nos ancêtres arrivés dans ce lieu «Zaâtha les nomades».
L’état civil colonial avait perverti la forme du nom mais la structure est restée ; désormais, on porte aujourd’hui le nom de Benzatat. Une autre séquelle de la colonisation. C’est là où je suis né, au pied des montagnes des Aurès, 128 ans après le génocide des ancêtres. Là où la résistance à l’occupation coloniale a repris un nouveau souffle pour en finir cette fois-ci définitivement avec la barbarie coloniale. Les séquelles sont tellement profondes qu’il nous faudra une éternité pour retrouver la paix et la sérénité avec l’histoire et la mémoire.
Qu’un tribunal condamne cet acte barbare et odieux du plus lourd des verdicts, c’est en soi un bienfait pour l’humanité, pour que de tels comportements collectifs ne puissent plus venir indisposer la sérénité et la paix d’un autre peuple mais cette condamnation reste de l’ordre du symbolique. Alors que les descendants des Zaâtchas, ceux qui ont échappé au génocide, luttent continuellement de nos jours à vouloir reconstituer leur mémoire et leur identité dans un monde tout a fait différent, un monde produit par les effets de dislocation des structures sociales et anthropologiques des ancêtres. Parce qu’il s’agit de retrouver la continuité de ce qui existait depuis des millénaires, depuis l’avènement des Phéniciens et même avant, du temps des Gétules. Un peuple nomadisant de la frontière égyptienne à l’Atlantique, sur une bande où les Zaâtchas occupaient une place médiane. Il s’agit d’un ordre imaginaire.
C’est avec de telles parcelles de l’imaginaire que s’écrit «le roman national». Une phrase sournoise ou un verdict exemplaire ne peuvent constituer le moindre effet sur l’immensité de la tâche à accomplir pour que les descendants des victimes de la colonisation puissent retrouver la sérénité et la réconciliation avec leur mémoire et leur histoire. Qu’ils gardent les têtes, ils atteindront un jour la maturité nécessaire pour se hisser au niveau de la civilisation et la prise de conscience de la lourdeur et la responsabilité devant les droits de l’Homme, de leur respect et des crimes commis contre eux.
Nos mémoires pourront ce jour-là, peut-être, se réconcilier ou, du moins, prendre conscience que nous avons besoin les uns des autres pour s’entre aider à se réconcilier, pour pouvoir, enfin, se réconcilier avec soi-même.
Y. B.
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