Diaspora, cette énergie non renouvelable
Par Ahcène Moussi – Au bas mot, huit millions d’Algériens sont aujourd’hui dispersés à travers la planète. Majoritairement en France, la diaspora algérienne est l’équivalent de la population d’au moins six pays d’Afrique réunis.
Composée de médecins, ingénieurs, banquiers, chercheurs scientifiques en toutes disciplines, professeurs, étudiants, intellectuels et de quelques réfugiés, tous en mal d’utilisation dans leur pays, cette diaspora réaliseraient chaque année, en Europe et en Amérique du Nord, un chiffre d’affaires de l’ordre de 2 milliards de dollars. Quel manque à gagner pour notre pays !
Rappelons-nous qu’au lendemain de l’indépendance, l’Algérie n’avait pratiquement qu’une cinquantaine de personnes diplômées de l’université. N’ayant pas le choix, les dirigeants de l’époque avaient alors confié l’encadrement des différentes entreprises du pays à des maquisards fraîchement descendus des montagnes, bien que ces derniers n’aient pas de formation académique. Ça ne dérange en rien puisque c’est à partir d’Alger que les décisions et les ordres sont dictés.
C’est au cours des années 70 que le délitement de l’intelligentsia algérienne a commencé. On pensait que les postes de responsabilité occupés par les moudjahidine seraient réorientés, pour être attribués aux jeunes licenciés et techniciens sortis, tout frais, des différents instituts et autres hautes écoles.
Le flambeau n’a pas été transmis et c’est malheureusement la première désolation de cette intelligentsia, puisque les moudjahidine tiennent à garder leurs titres et tous les avantages qui y sont liés. C’est alors une déperdition drastique de la notion de l’intellectuel à laquelle nous assistions, sans que personne n’ait osé lever le petit doigt pour corriger cette aberration.
Bien que certaines réactions à cela se fussent manifestées çà et là, notamment chez les étudiants, la situation sur le terrain n’avait pas évolué d’un iota. Bien au contraire, certains cadres conscients qui s’étaient rebellés contre l’ordre établi furent carrément marginalisés, voire rétrogradés ou congédiés.
Que pouvaient-ils donc faire, ces premiers diplômés algériens ? Se laisser berner et mener à la baguette par des dirigeants analphabètes, se taire et accepter une vie à la limite du végétatif, abandonner tout et aller faire la cueillette des olives, suivre la trace de leurs arrière-grands-parents déportés en 1870 en Nouvelle-Calédonie, pour devenir kanaks eux aussi, choisir la voie des 10 000 paysans kabyles ayant émigré en France en 1912, ou encore la voie de ces 400 jeunes ayant émigré au Canada au début de 1963 ? Autant de questions que se posaient ceux-là qui ne demandaient qu’à mettre en valeur leurs compétences au service de la collectivité nationale.
Oui, ce qui est vrai, c’est qu’ils étaient interdits de donner leur avis ou de s’approcher de la table de décisions. Le constat est que notre pays est mal parti. Il a pris une mauvaise direction, alors que ses gouvernants refusent de le reconnaître.
L’émigration algérienne, timide jusqu’en 1990, a pris par la suite des proportions graves, jusqu’à faire partie de notre mémoire collective. Les départs vers l’étranger, en direction notamment de la France et du Canada, ont vidé le pays de sa matière grise.
Pour rappel, il y avait à peine 3 000 ressortissants algériens en 1986 au Canada. Au bout d’une vingtaine d’années (1990 à 2010), à cause des politiques sociales et économiques inadéquates, l’injustice sociale, le chômage, la crise culturelle et identitaire et les ravages occasionnés durant la décennie noire, l’Algérie a connu une hémorragie manifeste d’une bonne partie de ses élites, voire un drame en douceur, aux lieu et place d’une révolution tranquille, comme cela s’est passé dans certaines grandes nations d’aujourd’hui. Voilà que pas loin de 65 000 personnes (sans compter les clandestins) ont alors émigré au Canada, au cours de ces deux décennies.
Le non-retour de cette intelligentsia est aux yeux de beaucoup de jeunes cadres et universitaires restés en Algérie, une preuve de stabilité et de réussite de leurs compatriotes au pays de la feuille d’érable. Et voilà que nous assistions alors, depuis l’année 2011, à l’arrivée au Canada, de vagues de 1 800 à 2 000 Algériens par année.
Deux particularités de cette émigration récente, de nos compatriotes au Canada, sont relevées : la première réside dans la haute qualification de ses membres, qui sont pour la plupart des cadres qualifiés et des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ; la seconde tient dans l’importance du nombre de jeunes filles.
Des déportations forcées à l’exil et aux migrations purement économiques, succède, hélas !, une migration volontaire d’Algériens, constituée non de simples ouvriers comme jadis, mais des gens qui ont une forte personnalité, épanouis, diplômés et surtout d’un haut niveau de compétences, qui n’ont pas trouvé dans leur propre pays la reconnaissance, le respect, le travail et la sécurité.
C’est dans, d’une part, cette indifférence des dirigeants politiques envers la valorisation des ressources humaines du pays, ajoutée à ces discours démagogiques, répétitifs et souvent mensongers qui sont la cause de la fuite des cerveaux et de cette déperdition de matière grise.
Les pays étrangers en profitent, puisqu’ils savent combien le capital connaissance est important. Ces pays d’accueil sont donc convaincus de tirer une valeur ajoutée certaine, en assurant de bonnes conditions de travail et de sécurité à ces talents, et en exploitant rationnellement et à bon escient ce savoir-faire et ce savoir-être qui les caractérisent.
Selon certains spécialistes canadiens, la migration algérienne qui s’étale de 1999 à 2010 s’est distinguée par la réussite de personnalités remarquables de niveau mondial pour certaines. De nombreux domaines scientifiques sont représentés à l’image des sciences physiques, de la chimie, des nouvelles technologies, de l’astronomie ou de la science biomédicale.
En dépit de toutes ces réussites de nos compatriotes à l’étranger, ce que nous appelons, en d’autres termes, la diaspora, il n’empêche que notre pays en est privé et perd beaucoup et de plus en plus, sur tous les plans, à rester indifférent à ce départ de milliers de ses meilleurs enfants chaque année.
Si l’Algérie est dotée d’une grande richesse, variée et exceptionnelle, les hommes qui ont la charge de la gérer et de la fructifier n’en sont pas capables.
A. M.
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