Germaine Tillion : une résistante au pluriel
Par Arezki Hatem – Germaine Tillion est née le 30 mai 1907 à Allègre, en Haute-Loire, au sein d’une famille de notables catholiques, mais néanmoins ardemment républicains, et bercée par des parents aimants et érudits. Son père Lucien Tillion est magistrat. Il s’adonne à l’histoire, à l’archéologie, la photographie et à la musique. En somme, un homme à la profonde et féconde érudition. Sa mère, Emilie, dirige et rédige une collection de guides touristiques pour les éditions Hachette.
Les livres sont le creuset d’où la petite Germaine puise la connaissance pour son insatiable soif de savoir ; elle est, malgré son jeune âge, animée d’une inlassable curiosité, elle veut comprendre l’humain, s’intéresse à tous les segments de la science qui peuvent lui ouvrir les portes de cet être intelligent aux multiples facettes. Et pour cerner son sujet de prédilection, elle choisit l’ethnologie, discipline alors en plein renouveau. Apprentissage et riche chemin initiatique.
Etudier, questionner, comprendre et décrire ce qui l’entoure, c’est la pierre angulaire sur laquelle l’édifice de la recherche ethnographique dans tous ses aspects sociaux, sociétaux, historiques, anthropologiques et psychologiques se pose, s’élève et donne forme à une architecture plus expressive de la diversité humaine. C’est dans le sillage de Marcel Mauss, l’une des éminences de l’ethnologie française, que Germaine Tillion entame son apprentissage.
Un apprentissage riche et foisonnant de voyages scientifiques, passage inéluctable pour tâter de ses propres mains, pour voir de ses propres yeux et juger par ses sens la grande richesse que recèle la discipline, dont elle a fait sa passion et sa raison d’être. C’est au cours de ces expériences qu’elle acquiert les capacités d’observation et d’analyse qui lui ouvriront grand les portes de la postérité.
Germaine Tillion et la résistance contre le nazisme
Femme engagée et pétrie de valeurs républicaines, et qui sans une once d’hésitation s’est engagée corps et âme dans la résistance, elle sut dire non aux dérives du maréchal Pétain, au reniement des valeurs de la République française, la compromission avec l’une des idéologies les plus fascisantes, les plus criminelles des temps modernes. Ses premiers pas dans la résistance contre le fascisme remontent aux débuts des années 1940.
Animée par une ferveur patriotique, elle entre rapidement dans les réseaux de la résistance. Son refus spontané de céder à la résignation, au découragement et à courber l’échine face au lourd fardeau de la défaite-éclair de l’armée d’Hitler. Dans un premier temps, elle prend contact avec la Croix-Rouge et lie connaissance avec un officier de la coloniale qui, sous couvert d’une association d’aide aux soldats coloniaux, met en place un réseau d’évasion pour les prisonniers de guerre. Germaine Tillion est aussi, au début des années quarante et un, la fondatrice du journal Résistance qui fut le titre officiel du combat contre le joug nazi.
Germaine Tillion et l’Algérie
La passion de Germaine Tillion pour l’Algérie remonte à l’année 1935 dans la région des Aurès, elle étudie sur le terrain les structures parentales de la société chaouie, et à travers leur vie quotidienne elle prend conscience du statut de la femme (1935-1940). Dans son livre phare L’Algérie aurésienne elle met en exergue les traditions, us et structures sociales de la femme chaouie, son rôle dans la vie quotidienne dans une société, qui certes, ne la couvre pas de tous ses droits, mais dont la place est non pas moins prépondérante que l’homme.
Le travail colossal de cette humaniste et éminente ethnologue permet aujourd’hui de comprendre les structures sociales de la société chaouie, le génie de ses populations qui, malgré les privations du colonialisme sauvage, sut résister par la conservation de ses valeurs ancestrales. La passion de Germaine Tillion pour l’Algérie ne se résume pas seulement à sa présence dans les Aurès pour le compte de ses recherches ethnologiques, mais elle est liée aussi à la guerre d’Algérie.
En décembre 1954, un mois après le déclenchement de la lutte armée pour l’indépendance, elle est missionnée par le gouvernement français, elle retourne dans une Algérie qu’elle ne reconnaît pas : la pauvreté avait atteint son paroxysme, les disparités leur apogée et les premières prémices d’une répression criminelle commençaient déjà à se dessiner… Ainsi, elle la trouve dans un état de dégradation qu’elle qualifie de «clochardisation», la première à utiliser ce tristement vocable digne de la politique coloniale.
Fermement attachée à l’éducation, elle crée en 1955 pour les enfants, les femmes et les plus démunis le Service de centres sociaux. 120 centres seront actifs dans toute l’Algérie jusqu’en 1962 quand l’OAS en assassinera les six dirigeants. Militante contre la peine de mort et la torture, elle eut aussi un rôle de médiateur entre le gouvernement français et le FLN.
Il est difficile de résumer une vie aussi riche : de 1958 à nos jours, les très nombreuses publications, livres et articles ayant trait à la vie de cette grande humaniste, ethnologue et militante pour une meilleure condition humaine fournissent des analyses clairvoyantes et marquent un engagement riche en actions fortes de Germaine Tillion.
A. H.
Comment (12)