Abderrahmane Benhamadi-Bruno Frentzel : «Condor-Sicpa propose un système qui éradiquera le marché informel»
Le président du groupe Condor, Abderrahmane Benhamadi, et le vice-président de la société mixte Condor-Sicpa, Bruno Frentzel, évoquent dans cet entretien à Algeriepatriotique les effets positifs induits par le système Sicpatrace, une solution qui permettra de lutter efficacement contre le marché informel et la contrefaçon. Cette solution, qui, assure-t-on, ne coûtera pas un centime au Trésor public, permettra l’authentification et la traçabilité des produits, dans une opération de sécurisation de la chaîne de distribution des marchandises qui associe l’Etat, les opérateurs économiques agréés et les citoyens.
Algeriepatriotique : Condor et Sipca viennent de créer une joint-venture. En quoi consiste ce partenariat ?
Bruno Frentzel : Ce partenariat consiste en la création d’une filiale commune de droit algérien, 51% Condor et 49% Sicpa, ayant pour objet de proposer en Algérie des solutions d’authentification et de traçabilité pour l’ensemble des produits manufacturés localement ou importés. Sipca amène son savoir-faire reconnu internationalement en matière de sécurisation et de contrôle de production des produits de grande consommation, tels le tabac, les boissons et autres produits nécessitant une protection particulière parce que présentant des risques pour la santé, l’intégrité physique des personnes ou la sécurité.
Condor amène son savoir-faire en matière de communication, d’informatique et de sécurité digitale en Algérie et désormais en Afrique, et complète ainsi l’offre existante de Sipca en permettant la distribution et l’industrialisation des solutions pour servir l’Algérie et le continent africain.
Concrètement, quel rôle le groupe Condor va-t-il jouer dans cette solution innovante pour le pays ?
Abderrahmane Benhamadi : Condor a été approché par Sipca pour porter conjointement une offre de solution de traçabilité en Algérie et sur le continent africain. Considérant que nos deux groupes partagent des valeurs communes quant à la mise en place de moyens efficaces contre le commerce illicite et la contrefaçon – qui impactent sévèrement notre économie – et que nos domaines de compétences sont complémentaires, il nous a été facile de nous mettre d’accord sur la création de la société mixte Condor-Sicpa.
Condor apporte son savoir-faire en matière de télécommunication et d’informatique distribuée ainsi qu’en logistique, et s’appuiera sur l’expertise de Sipca dans le contrôle de production et de distribution, l’authentification sécurisée et la traçabilité.
La solution que vous vous apprêtez à introduire en Algérie a déjà fait ses preuves ailleurs dans la lutte contre l’informel et la contrefaçon. A qui s’adresse-t-elle ?
Bruno Frentzel : Notre solution, qui combine sécurité matérielle et digitale, permet notamment aux gouvernements de disposer d’une plateforme d’authentification et de traçabilité multi-produits. Elle permet de distinguer non seulement les produits contrefaits des produits légitimes par le biais d’un marquage sécurisé, comparable à celui que l’on trouve sur les billets de banque, mais également de tracer en temps réel la production et la distribution des produits marqués au moyen d’un code digital dans le marché, et ce, depuis la production jusqu’au consommateur final.
Le gouvernement peut ainsi protéger l’opérateur légitime, identifier les circuits de distribution infectés par la marchandise contrefaite ou bien encore identifier des produits mis sur le marché, mais ne qui ne se sont pas acquittés des taxes dues. Il peut également protéger plus efficacement le citoyen qui pourra lui-même accéder à l’information sur le produit au moyen de son téléphone mobile sur lequel il aura préalablement téléchargé une application gratuite lui permettant d’authentifier le produit en question.
Concrètement, comment fonctionne le système Sicpatrace ?
Bruno Frentzel : Le système Sicpatrace consiste en la combinaison de quatre éléments de sécurisation et de traçage du produit.
En tout premier lieu, on crée pour chaque produit une identité unique, comme une plaque minéralogique d’un véhicule, que l’on imprime sur le produit ou une étiquette sous forme d’un code lisible par des instruments optoélectroniques. En deuxième lieu, on authentifie le produit en utilisant différents moyens matériels et électroniques aboutissant à la sécurisation du marquage et de l’encodage, en utilisant notamment des encres de sécurité. En troisième lieu, la vérification de ces codes tant au plan de l’authentification que de l’information contenue s’effectue au moyen de scanners mis à la disposition des autorités chargées de la répression des fraudes, de la police ou des services douaniers, qui vérifient les informations relatives aux taxes et à la légitimité du produit. Nous mettons également à la disposition du grand public une application pour téléphone mobile qui leur permet de vérifier la légitimité du produit et d’obtenir des informations des opérateurs économiques quant à son utilisation.
Enfin, l’ensemble des informations récupérées tout au long de la chaîne de distribution, depuis la production jusqu’à la consommation, sont stockées dans une base de données informatique qui est exploitée par les autorités, pour vérifier les quantités produites et distribuées, les circuits de distribution, l’acquittement des droits et taxes. Un contrôle efficace et ciblé peut ainsi être mis en place avec le soutien d’outil d’intelligence décisionnelle.
Sicpatrace est une solution complète d’authentification et de traçabilité associant Etat, opérateurs économiques agréés et citoyens dans la sécurisation de la chaîne de distribution des marchandises.
Le système Sicpa est destiné à la lutte contre l’informel et la contrefaçon. Comment ce système peut-il venir en aide aux entreprises algériennes, tous secteurs confondus, victimes de ce phénomène ?
Abderrahmane Benhamadi : Le commerce illicite et la contrefaçon n’épargnent aucun secteur de l’industrie, y compris dans notre domaine de l’électronique de grande consommation où les accessoires sont contrefaits. Dans d’autres secteurs, tels que les cosmétiques, les pièces détachées, les produits alimentaires, etc., les produits sont soit vendus illégalement soit contrefaits. Ce phénomène est préjudiciable aux citoyens et a des effets néfastes aussi bien sur leur santé que leur sécurité. Quant aux industries créatrices d’emploi et qui s’acquittent de leurs devoirs et payent leurs impôts régulièrement, elles sont grandement pénalisées.
En marquant nos produits et en permettant de distinguer ceux qui opèrent légalement et légitimement des contrefacteurs et de ceux qui s’adonnent à des pratiques commerciales illégales, nous éliminerons le commerce illicite et aiderons notre pays et notre industrie à se développer davantage. Nous donnerons également les moyens de preuve aux autorités pour citer en justice les contrefacteurs et les distributeurs des produits contrefaits ainsi que ceux qui agissent contre la loi.
Pouvez-vous nous citer des exemples de pays qui ont adopté le système Sipca et quels ont été les résultats de cette solution chez eux ?
Bruno Frentzel : De nombreux pays ont opté pour le système Sicpatrace, comme la Malaisie, la Turquie, les Etats-Unis, le Kenya, le Cameroun, la Géorgie, l’Albanie, l’Equateur et le Maroc. Pour ces pays, le commerce illicite et la contrefaçon ont diminué notablement et les montants des taxes collectées pour les produits concernés ont augmenté en moyenne de près de 40%. Dans le même temps, le nombre d’opérateurs économiques légitimes, donc dûment déclarés, a augmenté en moyenne de plus de 50%.
Ce projet a-t-il été présenté au gouvernement algérien ? Avez-vous eu un retour positif ?
Bruno Frentzel : Nous avons présenté la solution Sicpatrace auprès de plusieurs ministères. Elle a retenu leur attention.
Abderrahmane Benhamadi : Nous avons noté une réaction d’accueil favorable de la part des ministères auxquels nous nous sommes adressés.
En termes d’investissements, combien ce projet coûtera-t-il à l’Etat algérien ?
Bruno Frentzel : Condor-Sicpa assurera la totalité de l’investissement dans le déploiement de la solution, ce qui équivaut à un coût zéro pour la mise en place du système pour l’Etat. Condor-Sicpa investira, compte tenu de la magnitude du programme de traçabilité, près de six milliards de dinars et prévoit la création de près de 400 emplois sur l’ensemble du territoire algérien.
Vu l’ampleur de la sphère informelle en Algérie, ne risque-t-il pas d’y avoir des résistances qui pourraient retarder, voire empêcher la concrétisation d’un tel projet ?
Abderrahmane Benhamadi : Il est évident que des résistances vont apparaître. Mais la volonté des pouvoirs publics pour la protection de la santé et de l’intégrité physique des citoyens s’imposera en définitive.
Dans le cas où l’Etat algérien adoptait cette solution de traçabilité et de suivi pour le contrôle de l’intégrité des chaînes logistiques, quel en serait l’impact direct ?
Bruno Frentzel : Une telle solution de traçabilité étendue aux produits de grande consommation et aux produits soumis aux droits indirects permettra à l’Etat de mieux protéger les citoyens et les opérateurs économiques agréés contre les effets négatifs et destructeurs et dangereux pour la santé. Elle sera un moyen de lutte efficace contre la contrefaçon et le commerce illicite en disposant de moyens de preuve permettant la répression de la fraude par des moyens fiables et reconnus par la justice. Enfin, l’Etat sera assuré de la pleine collecte des taxes et pourra ainsi améliorer les recettes fiscales ordinaires.
Quel est l’intérêt financier pour l’Algérie en adoptant un tel système ?
Bruno Frentzel : L’intérêt financier d’un tel système réside dans la création de valeur en termes de PIB et de taxes.
L’économie illicite et informelle n’entre pas dans la comptabilité nationale, et donc pénalise l’Algérie dans sa reconnaissance internationale auprès des institutions financières, puisque cette richesse n’est pas déclarée. Par ailleurs, ce sont des revenus qui échappent à l’Etat en termes de taxes et ceci signifie moins de moyens. Enfin, ce sont les entreprises légitimes qui souffrent de cette compétition illégale et c’est un chiffre d’affaires moindre et des emplois en moins.
Dans l’ensemble des pays ayant adopté le système Sicpatrace, les Etats ont constaté une amélioration de la collecte des taxes indirectes (TVA, ACCISES) jusqu’à hauteur de 40% et plus après une année de son entrée en vigueur, outre une augmentation du chiffre d’affaires pour les opérateurs légitimes, des créations d’emploi et une amélioration des ratios financiers de référence pour l’obtention de financements internationaux (https://www.youtube.com/watch? v=U_aC59A_BuE).
Les gains fiscaux, l’amélioration des ratios économiques associés à une meilleure protection sans coûts initiaux d’investissement pour le gouvernement rendent cette proposition très attractive sur les plans des coûts et des recettes.
Combien de temps nécessite la mise en application d’une telle solution ?
Abderrahmane Benhamadi : La matérialisation d’un tel projet nécessite la formation des acteurs tant au niveau des industries que de l’Etat, le déploiement d’équipements pour les industries concernées, le développement d’interfaces et d’applications, l’information du grand public. Il faut donc environ neuf mois pour mettre en place ce système dans les meilleures conditions.
Propos recueillis par Houneïda Acil
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