Processus de paix au Mali : qui veut faire dérailler l’accord d’Alger ?
A l’occasion de la conclusion de sa huitième mission dans le pays, qui a duré du 27 février au 8 mars, l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme au Mali, Suliman Baldo, précise dans un rapport qu’il vient de remettre à l’ONU que les graves menaces sécuritaires au nord et au centre du pays continuent à mettre les populations civiles en danger et à entraver leur accès aux services sociaux de base. «Un indicateur de cette insécurité grandissante est le nombre très élevé des écoles fermées dans le centre et le nord du pays, risquant de priver de nombreux enfants de leur droit à l’éducation», a dit l’expert.
M. Baldo a déploré la prolifération des postes de contrôle mis en place sur les axes routiers par des groupes armés et par des dissidents de ces derniers ainsi que par des bandits, et la multiplication des attaques armées à ces postes, tels les actes de braquage et de vol de véhicules et de bétail qui ciblent les civils et les acteurs humanitaires. A l’occasion, il a aussi dénoncé l’impact néfaste des crimes économiques transfrontaliers qui fragilisent la sécurité des populations dans les régions affectées. Les attaques ciblées menées par les groupes extrémistes violents contre les forces de défense et de sécurité maliennes et les forces internationales ont, selon lui, fait de l’opération de maintien de la paix au Mali l’une de plus meurtrières au monde aujourd’hui.
L’expert indépendant s’est rendu à Gao, dans le nord du Mali, où les premières patrouilles mixtes constituées de combattants représentant des parties à l’accord de paix au Mali signé à Alger en 2015, à savoir le gouvernement malien et les alliances de mouvements armés, la Plateforme et la Coordination de mouvements de l’Azawad (CMA), ont été lancées le 23 février. «J’encourage les partenaires et la communauté internationale à soutenir ce processus afin que ces patrouilles puissent protéger les populations et les sites de cantonnement des combattants», a-t-il dit.
L’expert a ajouté que l’attaque odieuse et meurtrière du 18 janvier 2017 contre le camp du mécanisme opérationnel de coordination chargé d’organiser ces patrouilles montre que les ennemis de la paix ont toujours une importante capacité de nuisance. L’annonce faite le 2 mars de l’unification de plusieurs groupes extrémistes violents sous la bannière d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) montre que ces groupes sont déterminés à contrecarrer les progrès réalisés dans la mise en application de l’accord de paix, a estimé M. Baldo. «Déjouer le dessein déstabilisateur de ceux qui veulent faire dérailler le processus de paix est la responsabilité des parties à l’accord et celle des partenaires internationaux du Mali», a-t-il ajouté.
M. Baldo s’est dit aussi préoccupé par les conditions de détention et les violations des droits des femmes, des migrants et des réfugiés. Il a noté de modestes progrès à cet égard, mais demeure inquiet par le manque de progrès sur des questions essentielles telles que la lutte contre l’impunité pour les violations graves des droits de l’Homme et la capacité du système judiciaire dans le nord et le centre du Mali.
Après les retards dans la mise en application de l’accord de paix que l’expert avait déploré lors de sa mission de novembre 2016, les parties à cet accord semblent bien déterminées à rattraper le temps perdu en relançant les processus de mise en place des autorités intérimaires et de patrouilles mixtes de leurs combattants. Malgré les dérapages qui continuent à se manifester, les parties doivent continuer à s’acquitter de leurs engagements sous l’accord de paix, car ces mesures sont nécessaires pour rassurer et sécuriser les populations locales et pour permettre le retour des autorités étatiques partout sur le territoire national, comme cela est prévu dans l’accord de paix.
«Les parties doivent aux Maliens de continuer à trouver des solutions consensuelles à leurs différends et de permettre l’accélération du déploiement de structures étatiques, notamment les forces de sécurité et le personnel administratif et judiciaire, vers les villes et les cercles du nord et du centre du pays. Il y va du bien-être et de la sécurité de communautés entières que les parties prétendent représenter. Ce faisant, les trois parties doivent assurer un accès humanitaire sans entraves à ces populations et assurer la protection du personnel humanitaire et de leurs opérations», a dit M. Baldo. «La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, et particulièrement les dispositions essentielles en matière des droits de l’Homme, constitue une garantie nécessaire pour une meilleure protection des civils», a-t-il ajouté.
A ce propos, M. Baldo s’est félicité du progrès réalisé dans le domaine de la justice transitionnelle, notamment avec l’ouverture officielle des antennes régionales de la Commission justice, vérité et réconciliation (CVJR) et le commencement de la prise des dépositions. L’expert a souligné qu’il reste beaucoup à faire surtout dans le domaine de la sensibilisation de la population, mais on est sur le bon chemin. «Afin d’achever son travail efficacement, la commission aura besoin d’un appui durable sur le plan technique et financier», a observé M. Baldo. L’expert indépendant présentera un nouveau rapport sur la situation des droits de l’Homme au Mali au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en mars 2017.
Khider Cherif
Comment (11)