20 000 !
Par Pieter Kerstens – C’est en milliards de dollars le record que pourrait atteindre la dette publique américaine au cours des prochaines semaines.
C’est également en nombre de points le niveau historique que la Bourse de Wall Street dépasse depuis le 26 janvier de cette année.
Au Japon, la Bourse de Tokyo pourrait elle aussi atteindre ce sommet dans les semaines à venir, mais ici, il ne s’agit nullement d’un record. En effet, les épargnants japonais ont perdu 50% de la valeur de leurs actions depuis 1989, période où l’indice Nikkei culminait à 39 600 points, juste avant l’explosion d’une bulle financière. Pendant 27 ans, ces petits épargnants au bord de la ruine n’en finissent pas de souffrir.
Ce 30 mars, la Bourse de Milan affichait 20 276 points. Créé en 1997 à Milan, l’indice S & P MIB (et appelé FTSE MIB depuis 2009) était au plus haut en 2007 avec 44 360 points. Ici aussi, les épargnants italiens ont perdu plus de 50% de leurs économies et rien n’indique qu’ils pourraient récupérer leurs pertes dans un proche avenir.
La victoire surprise de Donald Trump, au mois de novembre, a, dans un premier temps, créé la panique sur les marchés boursiers, avant que ces derniers ne se reprennent et s’orientent très positivement. Les Bourses américaines d’actions marquent des plus hauts historiques, le dollar résiste par rapport au yen et à l’euro, les taux long remontent. En effet, le changement qu’incarne le nouveau président des Etats-Unis devrait se traduire par des créations d’emplois et des travaux d’infrastructures, mais cela implique également une hausse du déficit américain et, partant, une hausse des taux. La volonté manifeste de Trump de valoriser le travail et de favoriser la préférence nationale se traduit par un sentiment d’euphorie pour les opérateurs de marchés, les investisseurs saluant actuellement les initiatives du président des Etats-Unis.
En Europe, les disparités de croissance économique se font jour. L’Allemagne et le Benelux continuent de favoriser les investissements, porteurs de croissance à long terme. L’Italie, dont le système bancaire est défaillant, risque de connaître des difficultés financières et économiques ; il faut nettoyer les écuries et, visiblement, le dernier vote des Italiens ne va pas dans ce sens. L’Espagne se porte un peu mieux, un gouvernement a vu le jour après plus de 20 mois sans que les réformes nécessaires, mais difficiles, soient mises en œuvre ; le taux de chômage diminue enfin, passant de 30% à 20%.
Fin 2016, les secteurs bancaires italien et espagnol étaient sous pression. Le ministre des Finances italien a proposé un plan de sauvetage de 20 milliards d’euros pour les institutions financières en déroute, et particulièrement la Banca di Monte dei Paschi di Sienna (qui serait nationalisée à 70%), alors que le montant des emprunts en défauts frise les 360 milliards d’euros ! Cela semble bien trop faible. La recapitalisation de BMPS sera de l’ordre de 7 milliards d’euros. Actuellement, les banques italiennes ont le plus mauvais ratio de défauts d’emprunts – autour de 16,5% – comparé à une moyenne européenne de 5,5%, environ 3 fois plus. Unicredit, banque phare en Italie, devrait lever près de 13 milliards d’euros de capitaux afin de renforcer ses fonds propres et faire face à une série de pertes, principalement dans le secteur immobilier.
Pour sa part, la Cour européenne de justice a confirmé la fraude perpétrée par les banques espagnoles quant aux taux d’intérêt pratiqués avant mai 2013 sur certains emprunts hypothécaires et elles devront payer la différence aux clients lésés. Les banques espagnoles provisionnent aussi des milliards afin de pallier les effets de la bulle immobilière spéculative et les nombreux défauts de paiement s’y rapportant.
Les déboires financiers de la Grèce, la faillite virtuelle du système bancaire italien, la fragilité des banques espagnoles et portugaises, mais aussi le géant allemand Deutsche Bank aux pieds d’argile constituent un réel danger pour l’économie mondiale. La mise en place de réglementations peu efficaces ne permet pas d’assainir le système bancaire européen ni de renforcer sa stabilité. Les décisions visant à ne plus permettre aux banques d’exercer leur métier et leurs activités connexes mettent en péril le «business-model» bancaire européen.
La baisse excessive des taux d’intérêt provoque non seulement une baisse des revenus traditionnels des banques (marge d’intermédiation), mais pousse artificiellement les valeurs des actifs à la hausse.
Les assureurs, contraints et forcés d’acheter des obligations d’Etat sans rendement, voire à rendement négatif, ne peuvent qu’espérer naïvement une hausse continue des prix de ces obligations ! Le risque d’une hausse, même minime de 2 à 3% sur les taux à 10 ans, provoquerait des pertes colossales auxquelles les assureurs sont incapables de faire face : les régulateurs sont des pompiers pyromanes qu’il faudrait condamner pour faute très grave !
La situation est tout aussi dramatique pour les fonds de pension, les taux d’intérêt faibles ne compensent pas la hausse des valeurs à l’actif de leurs bilans : 90% des fonds de pension dans le monde ne peuvent plus faire face à leurs engagements, pour autant que leurs passifs soient comptabilisés aux taux actuels du marché et non pas aux taux d’il y a 4 ou 5 ans !
De nombreux hommes politiques européens, en particulier les nationalistes, cherchent à récupérer leur indépendance face à une Europe qui accumule les dysfonctionnements et les erreurs dans la gestion des crises humanitaires, industrielles, financières ou sociales. De nombreux économistes réputés s’élèvent notamment contre le diktat de la Commission ou les dérives interventionnistes illégales de la BCE (Banque centrale européenne). Le prix Nobel d’économie, Olivier Hart, remet en question le bien-fondé d’une monnaie commune et prône un retour à plus d’indépendance des Etats : une décentralisation des processus de décisions tout en gardant cependant quelques domaines privilégiés, comme la libre circulation des biens et des personnes, la concurrence…
La situation actuelle est la suivante : les banques, les assureurs et les fonds de pension européens sont structurellement incapables de rentabiliser leurs capitaux tout en contrôlant leurs risques. Une régulation excessive et mal calibrée, une gestion trop souvent gabégique, et clairement un manque d’initiatives, de responsabilités et de courage de la part des dirigeants des institutions financières favorisent la déliquescence du système financier européen. Afin de préserver la pérennité de certaines institutions, il serait impératif de ne pas se soumettre aux exigences de l’Europe, quitte à payer des amendes, plutôt que de voir la disparition des métiers qui leur sont propres !
En Chine, depuis plusieurs mois, des signes de ralentissement économique se manifestent : surcapacité de production, baisse des exportations, augmentation du prix des logements, réduction des investissements privés et enfin baisse des revenus en partie due à la chute des cours boursiers. Plusieurs millions de particuliers ont été ruinés lors de la baisse du marché d’actions chinois. L’endettement des entreprises publiques reste très élevé, les créances douteuses des banques s’accroissent, les risques financiers, commerciaux et industriels ne sont pas gérés efficacement.
2017 reste donc une année de tous les dangers pour la Chine financière et industrielle, d’autant plus que la politique commerciale américaine, partenaire essentiel pour la Chine, devrait limiter les importations chinoises de biens de consommation. La banque centrale chinoise manipule (comme la BCE, la FED ou la BOJ) les cours des actifs financiers locaux, mais contribue également à contrôler le cours de sa devise par de nombreuses interventions. Les effets combinés de ces interventions ne font qu’accroître la fuite des capitaux, signe de confiance limitée des investisseurs dans la politique monétaire chinoise. Cependant, l’ouverture aux investisseurs étrangers du marché obligataire intérieur chinois, sans limite de montants (quotas), devrait créer de nouvelles rentrées de capitaux.
La Russie poursuit ses réformes structurelles. Les investissements dans le secteur des hydrocarbures permettent la transformation des infrastructures pétrolières vétustes. Malgré la baisse substantielle des cours pétroliers et des matières premières, depuis 2015, la Russie s’appuie également sur une demande intérieure en croissance, une consommation en augmentation grâce à la fois à une revalorisation des salaires et à une inflation maîtrisée. Les recettes fiscales vont augmenter malgré la baisse des impôts de sociétés actives dans le secteur pétrolier. Ces revenus permettront des investissements dans l’éducation, les infrastructures et l’innovation. La détente des relations américano-russes devrait également favoriser le climat d’investissements étrangers dans la Fédération de Russie.
La stabilité du rouble, malgré une baisse importante ces deux dernières années, et une stabilisation des actifs financiers restaurent un climat propice aux investissements tant privés que publics.
Comme la Russie, la population indienne bénéficie d’un accroissement de son pouvoir d’achat provenant d’une revalorisation des salaires et une réforme des pensions du secteur public. La stabilité politique et la politique monétaire portent leurs fruits : les entreprises publiques ont vu leur endettement diminuer, tandis que les projets d’infrastructures aboutissent. Les réformes fiscales mises en place pour les sociétés et les personnes physiques, l’application de la TVA sur les biens et services, l’assainissement des finances publiques permettront de dégager des moyens financiers favorisant une croissance durable (éducation, infrastructure, innovation…).
Le Brésil, en proie à des scandales touchant les plus hautes sphères de l’Etat, se caractérise par la divergence la plus forte entre les riches et les pauvres : 5% de la population contrôle 95% des richesses du pays. Aucun autre pays des BRICS n’approche ces chiffres. La corruption institutionnalisée et le clientélisme limitent les potentialités industrielles, commerciales et surtout agricoles du pays. Premier producteur et exportateur mondial de nombreuses denrées alimentaires (café, blé, maïs, soja ou agrumes), mais également de matières premières, comme le fer, la bauxite, le manganèse ou le pétrole, le Brésil connaît malheureusement des zones d’extrême pauvreté et des poches de famine qui pourraient rappeler ce qui se passe encore en Chine. L’augmentation des dépenses publiques a creusé le déficit budgétaire, mais la réforme du régime des retraites et des cotisations sociales réduirait ce déséquilibre. On constate, par ailleurs, qu’à la crise économique et politique, se mêle une crise morale et éthique aux conséquences imprévues, liées à la corruption massive instaurée par les sociétés Odebrecht et Petrobras.
Que ce soit en Grèce, en Italie, en France, en Espagne ou encore en Belgique, une rigueur dans la gestion des finances publiques, au niveau de l’Etat, mais également des collectivités territoriales, constituerait une base solide indispensable à une croissance bénéficiant à toute la population et permettrait dans le même temps un recul du chômage, véritable fléau social.
P. K.