Bernard Cazeneuve : «Les relations entre la France et l’Algérie sont exceptionnelles»
A la veille de l’élection présidentielle en France, la venue en Algérie du Premier ministre français, Bernard Cazeneuve, prend les allures d’une visite d’adieu. Elle donne l’occasion d’esquisser un bilan des relations entre nos deux pays durant les cinq années du mandat de François Hollande. C’est ce qui ressort de l’interview accordée par Bernard Cazeneuve au quotidien algérien El-Khabar. Il a résumé en quelques mots l’état des relations entre la France et l’Algérie : «Exceptionnelles et uniques, en raison de l’histoire commune qui lie les deux pays, ainsi que la culture et des liens humanitaires denses.» En chiffres, cela donne, comme il l’a fait savoir : 410 000 visas délivrés aux Algériens en 2016, sur 600 000 dossiers de demande traités par les consulats généraux à Alger, Oran et Annaba. Pour montrer l’évolution, il rappelle qu’en 2012, le nombre de visas accordés aux Algériens était de 210 000, et de 330 000 en 2014. Il en conclut que «si les chiffres ont doublé en quatre ans, c’est une preuve de la vitalité de nos relations bilatérales». Le nombre d’étudiants algériens en France, fait-il observer, a lui aussi doublé en quatre ans, de 3 600 étudiants en 2012 à 7 400 en 2016.
Toutefois, la partie de l’interview consacrée à la mémoire montre les limites que le passif historique impose aux relations algéro-françaises en altérant fortement leur dimension humaine. Bernard Cazeneuve a admis que les relations entre les deux pays ne peuvent être durablement bâties que sur la vérité historique et il estime que des progrès ont été accomplis dans ce sens pendant le mandat de Hollande. Mais il ne franchit pas le pas qui le sépare de cette vérité, comme l’a fait courageusement Emmanuel Macron lors de son récent séjour à Alger en tant que candidat à l’élection présidentielle. Pour Macron, la colonisation française a été un «crime contre l’humanité». Le président Hollande n’est pas allé plus loin que la reconnaissance, à Alger, devant le Parlement en 2012, de la souffrance vécue par le peuple algérien sous le colonialisme français, et s’il a participé ensuite aux célébrations du 19 Mars, c’était, précise Bernard Cazeneuve, «pour commémorer la mémoire de toutes les victimes civiles et militaires pendant la guerre en Algérie». Cela laisse l’impression d’une démarche inachevée.
Dans le domaine économique, c’est visiblement le dialogue de sourds. Le Premier ministre français affirme que son pays – contrairement à d’autres, dit-il, allusion certainement à la Chine – ne se limite pas au commerce, mais créé de la valeur ajoutée pour l’Algérie et participe à la production algérienne locale (1,8 milliard d’euros d’investissements en 2015). Mais, il y a quelques mois, l’Algérie, par la voix d’Abdelkader Bensalah (à l’ouverture du 1er Forum algéro-français de haut niveau entre le Conseil de la nation et le Sénat français, en septembre dernier), estimait que la coopération économique bilatérale «doit dépasser l’aspect commercial et favoriser davantage l’investissement productif».
Concernant la coopération sécuritaire, volet inévitable des relations bilatérales, Bernard Cazeneuve ne veut pas entrer dans les détails, mais il laisse entendre que l’expérience précieuse de l’Algérie en matière de lutte antiterroriste est d’une grande utilité pour la France. Ce n’est pas une surprise, tout au moins au plan diplomatique, les deux pays, dit-il, partagent la même opinion à propos de la nécessité d’une solution politique pour régler le problème de l’instabilité en Libye et parvenir à instaurer la paix dans ce pays. Il salue «le rôle clé joué par l’Algérie sur la scène régionale pour le retour de la paix et de la stabilité en Libye et au Mali».
Considérée comme une question intérieure à la France, la question de l’islamophobie a été absente dans cette interview accordée à El-Khabar. En revanche, c’est sans doute volontairement que le sujet qui fâche, celui du Sahara Occidental, a été évité. La France est un des plus forts soutiens de l’occupation coloniale de ce pays par le Maroc et ne manque aucune occasion de le confirmer. Pour l’Algérie, ce soutien est une des causes du retard mis à mettre en œuvre le processus qui mène à l’indépendance du Sahara Occidental à travers l’organisation d’un référendum d’autodétermination, comme le veut l’ONU. Sur ce point, les Algériens devront attendre l’après-élection présidentielle française pour savoir si la France compte faire évoluer sa position dans le sens de la reconnaissance du droit du peuple sahraoui à l’indépendance.
Houari Achouri
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