La France confirme son double jeu en Libye
La rencontre entre le Premier ministre français, Bernard Cazeneuve, avec son homologue libyen Fayez Al-Sarraj vendredi à Tunis confirme que la France emploie la stratégie des deux fers au feu en Libye. D’un côté, elle soutient militairement le maréchal Haftar et de l’autre elle fait tout pour rester collée aux tractations sur l’avenir de la Libye. En inspirant la création en 2016 du groupe dit des «parrains» militaires et diplomatiques, les autorités françaises montrent même qu’elles nourrissent l’ambition de façonner les contours du règlement de la crise libyenne afin, bien évidemment, de tirer le maximum de dividendes de la guerre qu’elle a menée contre Mouammar Kadhafi.
Mais pour donner l’impression que son pays est respectueux de la légalité internationale, Bernard Cazeneuve s’est empressé de confirmer à Fayez Al-Sarraj «le plein et entier soutien de la France au conseil présidentiel ainsi qu’à son gouvernement» et de prôner les vertus du dialogue entre toutes les parties libyennes. «Un nouvel élan du processus politique interlibyen est donc nécessaire et la France appelle l’ensemble des parties libyennes à s’engager résolument dans ce dialogue», a-t-il dit, réaffirmant qu’aux yeux de Paris, la solution dans ce pays ne pouvait être «que politique» et «en aucun cas militaire». Le discours du Premier ministre français sur l’importance du dialogue relève presque du cynisme, puisque la France n’a en réalité pas du tout encouragé les discussions interlibyennes. Avec son groupe des parrains de la Libye, elle a au contraire grandement fragilisé les discussions chapeautées par l’ONU.
En prenant le soin de ne pas mettre toutes leurs billes dans le même panier, les autorités françaises veulent en réalité s’assurer qu’elles seront gagnantes quelle que soit l’issue de la crise. C’est que les intérêts en jeu sont immenses. Il n’y a qu’à se rappeler que les réserves de pétrole en Libye sont les plus importantes en Afrique et les neuvièmes dans le monde avec 41,5 milliards de barils pour en saisir toute l’étendue. Et tout ce «butin de guerre» se trouve à une heure à peine d’avion des côtes européennes. Ne parlons pas du fait que la Libye est un pays à reconstruire depuis pratiquement zéro. La reconstruction de ce pays dévasté en 2011 par les Rafale de l’armée française et les bombardiers de l’Otan coûtera certainement plusieurs centaines de milliards dollars, de quoi faire tourner à plein régime les entreprises occidentales durant plusieurs années.
Mais pour que la France se fraye un chemin en Libye, il va falloir qu’elle bataille dur, car l’Egypte, le Qatar, les Emirats arabes unis, l’Italie et les Etats-Unis comptent bien aussi amortir sur le dos des Libyens les onéreux frais de la guerre contre Mouammar Kadhafi. Il semble bien que Paris a un coup de retard sur tout ce beau monde qui ne voit d’ailleurs pas aussi d’un bon œil l’intérêt de plus en plus insistant que porte la Russie à la région. Dans toute cette faune de rapaces, chacun joue en réalité sa propre partition.
Khider Cherif
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