Anne Lebreton : «Le sujet de la guerre d’Algérie est un des blocages de la France»
Depuis la fameuse phrase d’Emmanuel Macron – «la colonisation (française) est un crime contre l’humanité» – prononcée à Alger, en février dernier, le thème de la guerre d’Algérie est devenu un élément de premier plan dans la course à l’Elysée. Le rétropédalage du chef du mouvement «En marche !» n’a pas atténué la polémique. Emmanuel Macron et les personnalités politiques qui le soutiennent et participent à sa campagne sont contraints de justifier des propos qui ont été interprétés comme une véritable «trahison» par ses adversaires. Sur la chaîne BRTV, Anne Lebreton, adjointe au maire du IVe arrondissement de Paris, s’est cru obligée de se démarquer sensiblement de la déclaration de Macron, tout en lui trouvant un impact positif.
Anne Lebreton n’aurait pas fait la même déclaration que le candidat concernant la colonisation française. On la comprend quand on sait que dans le paysage politique français, elle se situe au centre-droit, et que son père, comme elle l’a révélé dans son entretien, a fait la guerre d’Algérie dans l’armée française. «Le terme n’était pas celui que j’aurais choisi», commence-t-elle par affirmer. Autrement dit, elle n’aurait pas qualifié la colonisation française de crime contre l’humanité. Mais, elle constate que la guerre d’Algérie est un sujet tabou. «On n’a jamais réussi à en parler, on a réussi à parler de la collaboration (de Français avec les nazis) 30 ans après la Seconde Guerre mondiale, et là, on est 55 ans après la guerre d’Algérie et on ne peut toujours pas en parler». Elle rappelle que la guerre d’Algérie «n’est devenue une guerre légalement reconnue qu’il y a une dizaine d’années».
Pour elle, Emmanuel Macron est d’une génération post-guerre d’Algérie et, donc, laisse-t-elle entendre, moins gêné pour parler de cette période de l’histoire de France. Elle lui accorde le mérite d’avoir «jeté un pavé dans la marre», c’est-à-dire d’avoir placé le sujet de la colonisation française dans le débat politique au sein de la société et de la classe politique en France. Elle estime que c’est un «bon résultat de mettre ce sujet sur la table». La preuve, avance-t-elle, la semaine où Macron a prononcé sa phrase, il y avait dans sa mairie une grande exposition organisée par une association d’anciens combattants d’Algérie, et s’ils ne partageaient pas son opinion, ils étaient contents que le sujet ait été abordé et mis dans le débat. Elle considère que «si ça n’a servi qu’à ça, c’est très positif».
Elle-même avait, dit-elle, écrit il y a 4 ou 5 ans une tribune dans Le Figaro dans laquelle elle avait souligné le fait que «la guerre d’Algérie est un sujet qu’on n’a jamais réussi à évacuer alors que la guerre d’Algérie est terminée depuis 55 ans». Anne Lebreton se situe dans ces millions de Français qui ont un rapport particulier avec l’Algérie, que ce soit parce qu’ils sont d’origine algérienne ou rapatriés ou, comme elle, ayant été des enfants de soldats pendant cette guerre. «On a tout ce passé commun et on n’a jamais réussi à en parler», déplore-t-elle. Elle juge que «c’est un des blocages de la France».
Le débat autour de l’accusation de «crime contre l’humanité» lancée par Macron pour qualifier la colonisation française débouchera-t-il sur la levée du «blocage» qui empêche la France d’aborder sereinement cette page sombre de son histoire ? Les premiers échos qui parviennent des échanges à ce sujet montrent plutôt que les Français, particulièrement au sein de l’élite, et pas seulement politique, ne sont pas encore en mesure de faire le pas décisif qui les guérirait complètement du syndrome de la guerre d’Algérie.
L’opinion de Macron est perçue, pour le moins comme «imprudente», en tout cas surprenante. Pour nombre d’intellectuels français, ce n’est pas le moment de juger moralement et encore moins pénalement les crimes commis par le colonialisme français en Algérie.
Houari Achouri
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