De «tab djena’na» aux législatives de 2017…
Par Aziz Ghedia – Qui ne se souvient pas du fameux discours du président de la République prononcé un certain mois de mai 2012 à Sétif ? Le fameux discours où son excellence pourtant encore en possession de toutes ses facultés mentales et physiques avait lancé, sous forme d’aveu, son «tab djena’na» (notre jardin ou plutôt notre récolte n’a que trop mûri). A l’époque, la majorité des Algériens avait cru à ce discours. Personne ne pensait que ça ne pouvait être qu’une ruse politique. D’autant plus que l’homme avait déjà fait trois mandats présidentiels. Il avait pris en quelque sorte sa revanche sur le sort qui lui avait été réservé, à la mort de Houari Boumediene, en 1978, par les responsables du parti unique, le FLN. Alors qu’il s’attendait, le plus logiquement du monde, à prendre les rênes du pays, à continuer l’œuvre de son ex-mentor prématurément disparu d’une mystérieuse maladie, on l’éloigna du pouvoir, pensait-on, ad vitam aeternam. Il disparut alors complètement de la circulation. Il s’exila. Volontairement ou pas, là n’est pas la question. Il s’exila quelque part au Moyen-Orient où il devint un conseiller politique très apprécié par les princes et les rois du Golfe.
Il faut dire qu’à l’époque, l’école de la diplomatie algérienne avait la cote. Et, pour rendre à César ce qui appartient à César, l’honnêteté intellectuelle voudrait que l’on reconnaisse le rôle joué alors par lui, quelques années auparavant, dans l’émergence et l’entretien de l’aura de cette diplomatie. Mais, au début des années 1980, la «déboumediénisation» du système avait commencé ; et elle ne pouvait commencer, de toute évidence, que par l’éloignement du pouvoir des hommes ayant appartenu à ce même système. D’où l’exil pour certains et la marginalisation pour d’autres.
Cet exil que d’aucuns considèrent comme une traversée du désert aura duré pas moins de vingt ans.
Entretemps, le parti FLN avait connu diverses fortunes. Balayé dans un premier temps par la tornade d’octobre 1988, il ne dut son salut qu’à la décennie noire qui lui permit de revenir sur la scène politique nationale. Depuis, ce parti agite toujours l’épouvantail du terrorisme et joue la carte de la stabilité politique d’autant plus qu’avec l’avènement des «printemps arabe», le contexte s’y prête bien. C’est ainsi qu’aujourd’hui, à l’occasion de ces élections législatives, ce discours, usé jusqu’à la corde, revient comme un leitmotiv.
«Gare à ceux qui osent dire le contraire !» Telle est l’injonction doublée d’intimidation à peine voilée des thuriféraires de ce système à ceux qui se réclament du camp des boycotteurs. Plus que cela : boycotteur est assimilé à chahuteur. Cela ne vous rappelle rien ? Les «gamins» d’octobre 88. C’est ainsi qu’on désignait, sous ce vocable à connotation péjorative, les jeunes d’octobre 88 grâce à qui pourtant l’Algérie est passée d’un régime à parti unique, d’un régime presque totalitaire, à un pays où le nombre de partis politiques, aujourd’hui, vous donne le tournis et l’embarras du choix sur qui voter.
Dans dix ans, dans vingt ans, ou peut-être plus, l’histoire montrera que ceux qu’on traite aujourd’hui de boycotteurs, d’empêcheurs de tourner en rond n’étaient pas moins citoyens que les autres, mais bien au contraire, qu’ils avaient un sens aigu de la responsabilité et une conscience politique sans faille.
Ces élections législatives se présentent sous le slogan de «tous concernés». Mais est-ce vraiment le cas ? Le doute est permis puisqu’une semaine après le début de la campagne électorale, l’impression qui s’en dégage est que tout le monde s’en fiche éperdument. On a beau draper nos villes et nos villages de beaux habits vert-blanc-rouge, mais le cœur des citoyens n’y est pas.
L’évocation, au début de cet article, du président Abdelaziz Bouteflika et de son passé glorieux, il faut le reconnaître, n’est pas dénuée d’arrière-pensées. Son discours de 2012 précédait de deux jours les élections législatives de la même année et c’était dans le contexte de la campagne électorale qu’il l’avait prononcé. Malheureusement, depuis cette date, celui-ci ne s’est plus exprimé directement, à l’adresse de son peuple, et l’on ne sait donc pas dans quel esprit il attend ces législatives.
Beaucoup d’Algériens aimeraient bien, aujourd’hui, que le Président prenne la parole, qu’il réitère son discours du mois de mai 2012 et qu’il pousse ainsi, enfin, tout ce beau monde qui s’apprête à la kermesse, à faire sien son constat : «tab djena’na». Car il est à craindre que la récolte, devenue entre-temps blette, ne pourrisse.
A. G.
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