Une contribution de Youcef Benzatat – Crise politique et fatalité de la crise
La fatalité traverse la société algérienne dans toutes ses composantes, y compris chez ses élites et ses partis politiques les plus irréductibles, les plus imperméables à la corruption et à la compromission avec le pouvoir, autoproclamé en tant que tel, autoritairement. C’est cette fatalité, que traduit la perception de la situation politique en tant que fait accompli, à la limite de l’irréversibilité, qui se présente comme la véritable crise. La crise n’est pas à proprement parler une crise politique. Car le régime n’est pas en crise en soi. Il est assis sur la certitude que son contrôle total sur la société, sur sa politique, sur son économie, sa culture est un acquis de stabilité irréversible. Pas seulement il a asservi la société, mais il s’est doté de moyens coercitifs imparables lui permettant de neutraliser toute constitution de rapport de force qui viendrait le menacer, par la dépolitisation de masse, la cooptation des forces d’opposition et la marginalisation des plus irréductibles parmi elles, qui finissent par lassitude à lui faire allégeance et rentrer dans les rangs.
C’est l’aliénation dans cette fatalité qui accule les élites, malgré elles, à ne pouvoir produire des discours de rupture et de projections dans des mobilisations citoyennes, qui viendraient traduire leur action dans une perspective de renversement de cette contradiction : de crise de fatalité à crise politique. C’est cette aliénation qui traduit leur déficit d’engagement à affronter le pouvoir dans sa nature intrinsèque, en se contentant de lui substituer une critique conjoncturelle sur les ratés de sa gouvernance et la défaillance de ses politiques de développement. Un déficit marqué par l’absence de revendications actives de l’Etat de droit, de séparation des instances politique, religieuse, militaire, civile, juridique et des libertés fondamentales : liberté de conscience, liberté d’expression et liberté d’association politique.
C’est l’aliénation dans cette crise de fatalité qui réduit généralement leur discours sur la crise politique dans ses fondements aux seules conséquences conjoncturelles qui la traduisent. Cette aliénation finit par être perçue par la conscience collective comme une démission et une trahison des idéaux de la Révolution dans ce qu’elle s’est fixée comme perspective d’édification d’une nation libre et égalitaire, par la souveraineté du citoyen et du peuple dans sa volonté politique.
Quant à la fatalité qui préside à l’action de l’opposition politique, qui considère son engagement comme étant fondé sur le sens éthique du politique, celle qui a choisi «l’entrisme» comme mode de lutte, sa marge de manœuvre reste emprisonnée dans cette contradiction et ne pourra déboucher, autrement, que sur l’exacerbation de cette même fatalité qu’elle prétend dépasser par son choix stratégique. Inaudible dans son action au sein des institutions du pouvoir, qu’elle prétend investir pour faire bouger les lignes du statu quo, au mieux, elle se doit de faire face à un autisme cynique, propre à toute dictature, ce segment politique de l’opposition vient paradoxalement renforcer cette contradiction de crise politique en une crise de fatalité assumée. Cette posture s’apparente à une forme non avouée d’impuissance et de résignation à s’émanciper de la vassalisation et de la soumission à la dictature.
En ce sens que tout engagement dans la lutte politique, qui se veut en rupture avec le système de pouvoir, qui prend en otage le politique et le destin de la nation, doit traduire ses objectifs à renverser au préalable cette contradiction de crise de fatalité en crise politique : boycotter les processus d’aliénation et les échéances de régulation par lesquels le pouvoir perpétue sa domination, en s’investissant dans l’espace publique et en militant pour une mobilisation citoyenne directe et indéfinie. Délaisser les subventions et la reconnaissance du pouvoir et leur substituer la reconnaissance collective dans une action pragmatique de proximité avec le citoyen, en canalisant les mécontentements et les colères dans une structuration militante, jusqu’à la constitution d’un véritable contre-pouvoir alternatif capable de renverser la fatalité en crise politique.
Youcef Benzatat
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