Contribution d’Arab Kennouche – Pourquoi la Chine est dans le viseur de Donald Trump
Dans la partie de jeu de go que se livrent la Chine et les Etats-Unis depuis l’effondrement du mur de Berlin en 1989 et l’apparition de l’économie de marché sous Deng Xiao Ping (mort en 1997), bien malin eût été celui qui aurait prédit un face-à-face ô combien dangereux par Corée du Nord interposée. La réaction en chaîne récemment observée du côté de Washington depuis la présumée attaque chimique en Syrie démontre en soi le fil directeur qui lie l’Ukraine, la Syrie, l’Iran et la Corée du Nord : l’approfondissement d’un vaste plan de conquête de l’Eurasie, comprendre la Russie, ce qui ouvrirait la porte à un contrôle planétaire de la part de l’Occident.
En effet, selon une thèse de géopolitique bien partagée, le seul contrôle de la Russie aboutirait à une suprématie mondiale. Depuis les confins de l’Arctique à la frontière norvégienne, puis en descendant vers la Baltique jusqu’à la Bulgarie, des forces de l’Otan sont déjà prépositionnées, avec en ligne de front l’Ukraine, créant une pression énorme sur la Russie. Au Proche-Orient, la Syrie constitue un nœud gordien, où Iran, la Russie et le Hezbollah libanais font face aux forces occidentales. La dernière frappe américaine en dehors de la légalité internationale répond à un objectif géopolitique d’encerclement de l’Asie, de Damas à Téhéran, et de Téhéran à Pyongyang, en passant par Pékin. Ainsi, de la Norvège à Pyongyang se dessine un arc stratégique menaçant directement la Russie et la Chine, vastes superpuissances dont les frontières directes et indirectes connaissent des conflits ouverts avec l’Occident.
L’encerclement de l’Eurasie
Il n’est donc guère surprenant de constater autant de revirements et de rodomontades dans la rhétorique trumpienne de politique étrangère, dont les déclarations imprévisibles ne visent qu’à créer plus de brouillard sur ce vaste plan de conquête du monde, véritable vecteur de la politique étrangère américaine à long terme. Pourtant, la Chine réussissait remarquablement en provoquant une désindustrialisation forcée des Etats-Unis dont les multinationales pouvaient profiter des meilleures conditions du marché chinois : les intérêts de celles-ci ne coïncidaient pas forcément avec ceux de l’Etat américain, obligé désormais de rétropédaler devant la désertification industrielle annoncée par l’élection controversée de Trump. Celui-ci pourrait-il favoriser le retour des entreprises américaines sur le sol national ?
En tout état de cause, cet argument peut faire ricochet et forcer la Chine à délaisser son allié nord-coréen, très près de réussir à menacer directement le sol américain dans son entreprise nucléaire. En effet, le deal commercial proposé par Trump semble en cacher un autre beaucoup plus sérieux, la dénucléarisation de la péninsule coréenne, une épine supplémentaire dans le corps d’une Chine déjà amputée historiquement de plusieurs territoires eux pleinement souverains.
Le discours sans équivoque de Trump tend aussi tant bien que mal à faire dépendre l’avenir économique de la Chine de la question nucléaire coréenne, ce qui, en soi, représente une embûche à surmonter dans le cadre de l’encerclement de l’Eurasie. A long terme, il est évident que la Chine en sortirait perdante : en concédant de mettre un frein à la puissance de la Corée du Nord, elle ne pourrait plus stopper l’avancée du libéralisme économique et politique qui viendrait comme un vent fatal du Sud. Le ressort de la puissance nord-coréenne étant largement dû à une armée surdimensionnée, nucléarisée, l’abandon de son programme d’armement signerait le début de la fin du communisme en Corée du Nord.
Or, l’on connaît toute l’importance de ce ciment idéologique dans la construction de la Chine post-moderne dont l’unité nationale tient encore largement à la force du parti communiste chinois. Dénucléariser la Corée du Nord reviendrait à tirer sur un fil d’Ariane aux conséquences hasardeuses sur l’ordre politique interne de la Chine voisine. Les Etats-Unis ont largement laissé entendre qu’ils étaient champions du libéralisme en Asie, en n’omettant pas de souligner que la défense du camp de la liberté comportait pour eux une signification supplémentaire, la dénucléarisation de la Corée du Nord.
Le modèle furtif israélien
Finalement, la marge de manœuvre des Etats-Unis semble réduite à un marchandage fallacieux entre devoir attaquer une Corée du Nord, clone supposément avancé d’une partie de l’arsenal nucléaire chinois, et l’octroi de concessions commerciales à une Chine dépendante du marché américain. La Chine commettrait donc une erreur stratégique en laissant faire en Corée, comme dans l’esprit des frappes unilatérales américaines en Syrie, présentées comme des mesures préventives aux pays arabes, mais qui marquent sensiblement la donne stratégique en paralysant l’adversaire dans sa réaction jusqu’à l’émiettement.
En prenant pour hypothèse la destruction des sites nucléaires nord-coréens selon une approche israélienne expérimentée en Irak et en Syrie, une non-réaction de la Chine la condamnerait à terme, ne pouvant plus se prévaloir de l’arsenal nord-coréen comme d’une arme asymétrique. C’est tout l’intérêt d’un pseudo-rapprochement entre Pékin et Washington dont Trump pourrait se targuer afin de mettre en place un découplage avec Pyongyang plus psychologique que réellement stratégique et visant à isoler le Royaume ermite. Isolement nécessaire à une opération éclair, furtive, préemptive, qui ferait bon droit avec les dispositions de la charte de l’ONU.
D’évidence, les Etats-Unis ont tout intérêt à rechercher l’application d’un tel modèle qui avait réussi pour Israël contre des Etats arabes plutôt qu’une guerre totale – all-out war : frapper de nuit, rapidement pour repartir rapidement. Frapper là où cela fait mal sans pour autant chercher à anéantir le pays. Trump peut-il convaincre Xi Jinping du bien-fondé d’une telle démarche pour la préservation de la paix en Extrême-Orient ? Il semble illusoire de penser à un tel scénario pour plusieurs raisons.
Le Proche-Orient n’offre pas la même configuration à la Chine protectrice de la Corée du Nord : tout l’avenir de la suprématie chinoise en mer de Chine, et au-delà dans le Pacifique, dépend du verrou nord-coréen. La péninsule coréenne est également un enjeu majeur dans la rivalité sino-japonaise, le contrôle plus ou moins avéré de ce pays étant un facteur d’expansion de la Chine ou du Japon. Le Japon connaît une longue tradition d’occupation de la péninsule, qui serait remise au goût du jour dans le cas d’une intervention américaine. Dans cette partie du globe, la Chine doit donc aussi faire face à un impérialisme nippon, loin d’avoir épuisé tous ses ressorts. Faire croire à la Chine à la possibilité d’une opération chirurgicale de type moyen-oriental serait se méprendre sur un contexte autrement plus volatile en Extrême-Orient. Même l’art de la diplomatie commerciale consommée des Etats-Unis aura du mal à imposer la vue et l’esprit d’un traitement homéopathique de la question coréenne.
Les risques d’un conflit circonscrit à la seule Corée du Nord sont donc énormes pour la Chine : c’est le piège tendu par les Américains afin d’empêcher toute réaction d’envergure de la part du géant asiatique. Faire passer à la Chine un acte de guerre à haute portée stratégique pour une simple opération de maintien de l’ordre ou de la paix internationale, comme on a eu coutume de constater dans le contexte européen ou proche-oriental, risque de lui coûter cher. Les Etats-Unis et l’Occident en général ont acquis cet art imparable de conquête des esprits par une rhétorique de la paix, tout en usant de la force illégalement.
Commettraient-ils l’erreur de considérer la Chine comme un allié de circonstance de la Corée du Nord qu’elle délaisserait à la dernière minute ? Là est la question.
Dr Arab Kennouche
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