Démystification de l’histoire (II)
Par Mesloub Khider – Par ailleurs, s’il est un fait historique irrécusable, c’est l’isolement de la Kabylie du reste du territoire algérien au cours de ces derniers millénaires. Aucune puissance occupante, coloniale, depuis les Phéniciens jusqu’aux Turcs, en passant par les Romains, n’a jamais pu conquérir la Kabylie. Et par voie de conséquence, soumettre les Kabyles.
Vivant dans un isolat, derrière les murailles montagneuses inexpugnables, la population kabyle a évolué dans une société autarcique qui lui a ainsi permis de sauvegarder sa culture et sa langue jusqu’à aujourd’hui. En outre, cet enclavement a concouru à l’absence de participation de ces montagnards au développement économique, politique et culturel du reste du pays.
De fait, retranchés dans leurs montagnes, les Kabyles ne contribuèrent nullement aux soubresauts de l’histoire algérienne. On peut affirmer, sans risque d’être contredit, que la majorité de tous les grands hommes et rares femmes, rois, hommes politiques, religieux, hommes de sciences et de lettres, artistes, ayant contribué au cours des deux millénaires écoulés au développement culturel, politique et économique du pays furent originaires de toutes les régions du Maghreb, excepté de la Kabylie.
Depuis Massinissa, Juba, Jugurtha, saint Augustin, Tertullien, saint Cyprien, Kahina, jusqu’à Ibn Khaldoun et d’autres encore, tous furent originaires de toutes les régions du Maghreb. Mais aucun n’est issu de la Kabylie.
Enfin, dans un chapitre de l’histoire plus près de nous, il aura fallu l’invasion de l’Algérie par la France pour voir la Kabylie conquise. Et cette conquête a été obtenue grâce à la supériorité militaire et technologique de la France. L’armement perfectionné de la nouvelle puissance coloniale est venu à bout de la résistance des Kabyles, presque trente ans après la conquête du reste du territoire de l’Algérie.
Pour la première fois dans l’histoire de cette région longtemps demeurée isolée, la Kabylie a été directement occupée par des troupes militaires étrangères. Cette intrusion va radicalement bouleverser la société tribale kabyle. Soumise à une féroce occupation et à de sanglantes répressions à chaque soulèvement, la Kabylie sera aussi l’enjeu d’une politique sournoise «discriminatoire favorable» pour la détacher des autres régions arabophones.
Dans un but inavoué de division des Algériens, la «politique kabyle» initiée par la France coloniale a consisté à présenter les Kabyles comme une population radicalement différente des autres habitants arabophones de l’Algérie. Par ses supposés traits physiques apparentés aux Européens, par ses ascendances ethniques pareillement prétendument européennes, par ses origines religieuses chrétiennes exhibées pour la cause coloniale, par la prétendue supériorité de son intelligence et de la modernité de sa mentalité, par sa soi-disant pratique souple et tolérante de l’islam, par son esprit proclamé congénitalement démocratique, etc., la population kabyle s’est vue auréolée de toutes les vertus propices à son assimilation à la culture (coloniale) française.
Force est de constater que cette propagande coloniale propagée au sein des Kabyles continue malheureusement de provoquer des ravages, notamment parmi les indépendantistes berbéristes actuels qui cultivent un particularisme identitaire tout droit sorti des théories raciales répandues par les colons improvisés ethnologues, anthropologues.
De toute évidence, seule l’occupation coloniale française est parvenue à ébranler la société kabyle. Par l’instruction partielle comme par l’immigration précoce kabyle à destination de la métropole, les Kabyles ont commencé à développer une conscience nationale. Cette nouvelle prise de conscience politique a permis aux Kabyles de former les premières organisations anticolonialistes, notamment en France, où ils étaient majoritaires dans l’immigration algérienne.
Grâce à cet affranchissement de la mentalité tribale, la société kabyle s’est arrimée pour la première fois de l’histoire à l’ensemble du territoire algérien. Solidaire du destin de l’Algérie, la Kabylie a concouru courageusement à la lutte de libération nationale. Aujourd’hui, elle fait partie intégrante de l’Algérie.
En conclusion, toute l’idéologie berbériste est fondée sur une mystification et une mythification de l’histoire. Alors que la Kabylie est demeurée durant des siècles hors histoire (de l’Algérie et, au-delà, du Maghreb, rançon de la survie de sa culture et de sa langue), aujourd’hui, nous assistons à l’usurpation de l’histoire de l’Algérie perpétrée par les berbéristes pour appuyer leur projet irrédentiste. Cette déformation de l’histoire nationale algérienne à des fins indépendantistes doit être radicalement dénoncée. En accaparant les personnalités historiques berbères de l’Afrique du Nord, toutes originaires de toutes les régions du Maghreb, les berbéristes kabyles travestissent outrancièrement l’histoire de l’Algérie.
S’il y a une évidence historique à affirmer, c’est que les Kabyles n’ont contribué aucunement au développement culturel, politique et économique du Maghreb, en raison de l’isolement de leur société, demeurée longtemps réfractaire à toute pénétration «étrangère». Or, tous les grands personnages historiques berbères appartiennent à tous les Maghrébins.
Somme toute, après un long sommeil historique, bouleversé par le réveil douloureux imposé par la puissance coloniale française, les Kabyles se posent actuellement, au nom de la simple filiation linguistique et d’un supposé héritage culturel, en seuls et uniques enfants légitimes de cette histoire antique préislamique, à laquelle, par ailleurs, ils n’ont apporté aucune pierre à l’édifice.
S’il faut affirmer le caractère amazigh de l’Algérie, il ne fait aucun doute que tous les Algériens (et même Maghrébins) peuvent se targuer d’appartenir à cet héritage historique auquel leurs aïeux ont contribué à son développement. L’amazighité n’est pas l’apanage des Kabyles. Les plus grands personnages historiques berbères sont originaires de toutes les régions, sauf de la Kabylie. Alors, de grâce, les berbéristes kabyles doivent cesser d’usurper l’histoire à des desseins réactionnaires et tribaux. Ils n’ont pas le monopole de la berbérité.
Enfin, pour preuve de cette propension des Kabyles à développer leur particularisme ethnocentriste, aujourd’hui, ils renouent avec ce réflexe atavique isolationniste par leurs revendications autonomistes, voire indépendantistes. Tout se passe comme si, pourtant à l’ère de la mondialisation, les Kabyles berbéristes, en dépit de leur proclamation de foi moderniste, refusent de s’arracher à leur mentalité tribale.
M. K.
(Suite et fin)
N. B. : Pour parer à toute accusation, je proclame que je suis algérien, kabyle originaire d’Aïn El-Hammam (ex-Michelet), fils de moudjahid et affilié à aucun parti politique ni inféodé à aucune secte religieuse. Dans le cadre du débat historique démocratique, considérez seulement qu’il s’agit, là, d’un point de vue, en l’espèce le mien. J’ai rédigé ma contribution en homme libre.
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