Contribution du Dr Arab Kennouche – Droit de réponse aux écrits d’Ali Farid Belkadi
L’irruption sur la scène politique algérienne du MAK continue chaque jour de charrier toutes sortes d’opinions controversées, des plus passionnées aux plus contestables sur l’avenir de la question berbère en Algérie. Même les écrits à haute teneur scientifique, dont ceux d’Ali Farid Belkadi, n’échappent pas à la règle de la passion, voire de la haine dissimulée dans une lecture sélective à prétention scientifique de faits dits historiques, qui n’ont pour effet que d’aveugler encore plus le peuple algérien.
Le recours à l’histoire devient, en effet, dangereux lorsqu’on lui fait dire ce que la réalité vivante dément chaque jour. En l’occurrence, l’historien remet en cause la spécificité des peuples berbères en leur accolant une nouvelle étiquette de peuple sémite, et même plus, phénicien de souche dans une grossière manipulation des données anthropologiques et historiques actuelles.
Pour Belkadi, l’équation est simple : les Berbères étaient puniques, parlaient une langue sémite ; ils sont donc encore proches des Arabes, voire arabes. C’est de la sorte que l’historien entend convertir les derniers makistes ou les berbéristes récalcitrants à la nouvelle cause sémito-arabo-algérienne. Nous aurions pu encore douter de cette lecture sélective et ô combien subliminale qui transparaît dans le dernier article de Belkadi, si nous n’avions pu déceler, dans une autre livraison, un parti-pris flagrant contre une partie de l’Algérie, la Kabylie, que l’auteur audacieux croit pouvoir occulter ailleurs avec autant de qualificatifs laudateurs sur une prétendue admiration de sa part, du glorieux passé musulman, pour ne pas dire arabo-musulman des Amazighs.
En effet, Ali Farid Belkadi, au sujet du traître avéré Bengana, n’a pu s’empêcher de glisser que celui-ci fut d’«origine kabyle», lapsus qui révèle au grand jour tout le bien que l’historien pense de cette région d’Algérie. Parlant des Bengana : «Ils se disaient Arabes de pure race mais leur véritable origine était la Haute-Kabylie» (Ali Farid Belkadi, AP, 2 mars 2017).
On soulignera le «mais» adversatif afin que l’on comprenne mieux combien il est difficile de se prétendre arabe, de la pure espèce lorsque l’on est kabyle de souche… Vu l’étendue des connaissances de M. Belkadi, nous étions en droit d’attendre une explication plus frontale, puisée dans notre histoire postindépendance sur les raisons de l’émergence d’un néo-harkisme en Algérie, né des années Bouteflika, depuis la réhabilitation de Messali El-Hadj, les accointances sionistes de Boualem Sansal, en passant par les cris nostalgiques d’un Daoud dont la muse camusienne anti-arabe n’a d’égale que la trahison d’un Bengana réhabilité par des officiels algériens en exercice.
Car, pour dénoncer un traître, point n’est besoin de savoir qui fut kabyle ou arabe : un traître reste un traître. Un peu d’histoire du présent nous aurait fait tant de bien, bien plus que de l’histoire ancienne…
Pour sortir de l’ornière arabe-kabyle, il ne faut certainement pas avoir lu Belkadi, malheureusement. Car, même quand on devient arabe, on reste encore kabyle, surtout si l’on trahit l’Algérie. Ou, peut-être, pense-t-il en son for intérieur ressouder le peuple algérien, en se conférant le rôle de juge suprême de l’islamité ou de son allégeance à l’islam de toute l’Afrique du Nord par langue arabe interposée ou, mieux, langue sémitique, chamito-sémitique… punique.
Que notre historien se rassure ; il n’est pas le seul à vouloir défendre maladroitement le versant berbère de l’identité nationale. Bouteflika en un temps s’écria d’une tribune de Tizi-Ouzou : «Ana negoul l’ahriga fe dar» comme pour mieux justifier que nous sommes tous berbères arabisés.
En Algérie, les intellectuels tentent encore de vaincre le berbérisme, en refusant toute spécificité à une culture qui ne demande qu’à participer à la vie nationale au même titre que l’arabe. Ce n’est certainement pas en sémitisant toute l’Algérie par un discours historique tendancieux que la nation se reconnaîtra dans une identité viable. Car il existe plusieurs façons de renier ou occulter une réalité vivante créée par le Tout-Puissant, ce que le Prophète (PSL) n’a jamais osé faire : il faut accepter le droit à la différence et ne pas jeter de vieilles ancres identitaires sur des pans entiers de l’histoire nord-africaine, là où la prise semble meilleure mais pour aboutir à encore plus de paralysie nationale.
L’histoire idéologisée n’a jamais rendu service à quiconque. Par contre, une meilleure recherche des causes fondamentales de l’irruption des mauvais berbérismes, qui ont abouti à un MAK haineux et méprisable, est désormais nécessaire à l’Algérie. Ces causes sont à rechercher dans l’histoire récente de l’Algérie, plus spécialement, dans la période postcoloniale où des erreurs ont été commises au nom de l’idéologie pan-arabiste. Idéologie née de la lutte contre le joug ottoman au Proche-Orient et dans la Péninsule arabique pour aboutir à l’effacement de toute culture originale et à des approximations historiques comme celles d’une origine yéménite des Berbères.
Encore une fois, il devient fallacieux, et même anti-islamique, de recourir à l’islam pour justifier de l’origine arabe d’un peuple, comme dans de nombreux écrits faussement apologétiques de l’islam, dont celui de M. Belkadi, qui pousse le subterfuge jusqu’à le dissimuler dans un passage à l’état phénicien ou phénico-lybique des peuples berbères pour mieux le confondre dans une forme de sémitisme exalté, celui des Arabo-musulmans.
Or, s’il est bien un principe incontournable de l’islam canonique, c’est bien l’interdiction de toute exaltation ethnique, de revendication supérieure d’une race sur une autre, notamment dans l’exercice du pouvoir politique en terre d’islam. Il existe effectivement deux façons d’évincer l’autre du fait de son ethnie : soit le proclamer différent, soit l’identifier à soi-même. C’est sur ce deuxième mode que M. Belkadi répond aux extrémistes berbères qui, eux, n’en commettent pas moins le même impair.
Cependant, on ne peut occulter une réalité désormais incontournable à créditer au compte de l’Etat algérien qui a rectifié ses erreurs du passé, en officialisant la langue tamazight. C’est une base juridique nouvelle qui ouvre sans aucun doute un horizon fécond à la reconnaissance progressive d’une culture nationale sans devoir recourir à des retours idéologiques par l’Histoire que l’on veut bien faire voir. A n’en pas douter non plus, ce parcours est encore semé d’embûches, mais la voie est toute tracée pour que les Algériens du futur se reconnaissent dans un miroir ni narcissique ni déformant.
Une langue n’a jamais été qu’une vision du monde et un instrument au service du bien, et non une fin en soi. Sinon, comment expliquer qu’aujourd’hui des millions d’Arabes s’entretuent, parlant pourtant la même langue sacrée du Coran ? Comment convaincre un Kabyle, un Chaoui, un Targui qu’il est aussi «arabe» culturellement et religieusement si, dans le même temps, des Arabes de Syrie, d’Irak, du Yémen, d’Arabie se déchirent en luttes fratricides qui obèrent tout discours à la Belkadi ?
La génération actuelle des intellectuels algériens n’est toujours pas sortie d’une vision du monde qui remonte à Ennahda du XIXe siècle et de ses avatars pan-arabistes. Le MAK n’est qu’une réaction épidermique à cette idéologie contraire à l’islam. Il faudra un nouvel esprit pour que ce beau monde accède à la postmodernité et considère la différence comme féconde, profondément intéressante et sacrée.
Cet esprit n’existe pas en Algérie où méfiance se mêle à de nombreuses formes de pseudo-acceptations de l’autre, teintées, elles, d’hypocrisie. Plus grave, l’amour, la fraternité entre les gens, entre les cités, les peuples, disparaît progressivement en Algérie, cette valeur de l’islam qui dépasse sans commune mesure et l’arabité et la berbérité.
Dr Arab Kennouche
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