Contribution du Dr Arslan Chikhaoui – Morcellement programmé pour une nouvelle cartographie en Afrique du Nord
Les turbulences que connaît le monde arabe, à l’issue de ce qui est abusivement dénommé le «printemps arabe», notamment les régimes à gouvernance autocratique, à l’image de la Tunisie, la Libye, l’Egypte, la Syrie, n’est que la déclinaison d’un processus de mutations entamé au siècle dernier avec la chute du mur de Berlin et le démantèlement du modèle «soviétique» de gouvernance. Il s’agit, en fait, de mutations systémiques en vue de l’instauration des principes de gouvernance d’un nouvel ordre et en consolider les fameux sept piliers.
Les secousses qui ébranlent les pays arabes actuellement vont dans le sens non pas de la chute des régimes, mais surtout de la chute des élites de ces régimes au pouvoir, qualifiés de totalitaires et qui, en fait, ne correspondent plus aux profils établis pour gouverner cette nouvelle ère. Il est clair que tout ce processus avait commencé avec l’élimination de Saddam Hussein.
Dans ce contexte, il est utile de distinguer deux groupes de pays. Les Etats-nations, des pays à identité nationale relativement solide, qui vivent un épuisement, voire un essoufflement de régimes, une limite de leurs modes et modèles de gouvernance et une transition politique (Tunisie, Egypte, Maroc, Algérie). Les pays à faible unité nationale qui sont travaillés par des forces tribales, claniques, communautaires dominantes (Libye, Irak et Syrie).
Nous sommes bel et bien dans le prolongement de la politique du président Bush pour ce qui est du projet de démocratisation du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, dénommé également Grand Moyen-Orient, qui date depuis 2003 et qui a commencé par la deuxième guerre du Golfe et l’élimination du symbole de l’autoritarisme : Saddam Hussein. La période du soft power du président Obama n’étant qu’une transition de répit. Selon ma lecture, le cas syrien, aujourd’hui, le confirme. Trois étapes de cette feuille de route globale en constituent le «driver». Il s’agit des phases de démantèlement du panarabisme, de fragilisation et fragmentation des Etats clés et de mise en œuvre de gouvernances dites d’inclusion.
La stratégie adoptée pour le monde arabe aurait pour objectif, si mon décryptage de la vision des puissances occidentales est correct, une harmonisation des standards de gouvernance avec un «formatage» de la structure mentale des dirigeants nouveaux qui adopteront une même ligne de conduite. Dans certains cercles d’influence mondiaux, on parle de gouvernants «Generation 11», référence faite à l’année 11 du XXIe siècle.
Après l’humanitaire, c’est au tour de la possession et/ou de l’utilisation des armes de destruction massive, les CBRN, qui constituent le prétexte pour une ingérence, voire des interventions militaires internationales. L’affaire Valerie Palme Wilson, ex-chef de la division WMD (Armes de destruction massive) de la CIA et le sort qui lui avait été réservée par l’Administration américaine, en dévoilant son identité au public pour avoir défié le président Bush en attestant que l’Irak ne possédait pas d’armes nucléaires, est là pour nous le faire rappeler !
Aujourd’hui, le tour de la Syrie est arrivé. Une intervention militaire avec comme conséquence le renversement du président Bachar Al-Assad est à forte probabilité. Depuis environ cinq années, les think tank les plus influents ont élaboré trois scenarii. Selon mon analyse et mon décryptage des différents scenarii, il me semble que nous nous acheminons vers le scenario où personne ne gagne et la Syrie reste faible et fragmentée. Dans ce cas, le gouvernement resterait à Damas, mais, en termes d’autorité réelle, le président Bachar serait réduit à un rôle de maire avec peu de contrôle en dehors de la ville. Chacun des différents groupes ethniques, sectaires et tribaux se taillerait de petites zones de contrôle au sein de la Syrie et utiliser ces zones comme bases d’opération à partir de laquelle les uns combattront les autres. Les puissances étrangères impliquées dans le conflit (y compris les Etats-Unis, la Turquie, l’Iran, le Hezbollah, la Russie, l’Arabie Saoudite et le Qatar) resteront très actives et continueront à utiliser, chacun de son côté, leurs mandataires pour combattre l’influence de l’autre.
Les grands gagnants dans ce scénario seraient les groupes extrémistes violents (VEO) et les autres forces déstabilisatrices qui utiliseraient le chaos pour établir des bases à partir desquelles ils formeront et armeront leurs recrues. Dans le cas de ce scénario, les nouveaux djihadistes radicalisés retournent dans leur pays d’origine à partir de la Syrie avec les armes et les compétences pour bien mener des attaques dévastatrices contre leurs gouvernements.
Ce scénario conforte l’approche dite du démantèlement, à terme, des frontières de Sykes-Picot dans la région. L’effondrement total de la Syrie pourrait conduire à ce que certaines de ses parties seraient absorbées par les pays voisins ou conglomérées avec les régions séparatistes dans d’autres pays pour former de nouveaux Etats. Un Etat kurde, avec une partie de la Syrie et de l’Irak, pourrait voir le jour dans le nord, par exemple. Les frontières syriennes avec la Jordanie, Israël, le Liban, la Turquie et l’Irak pourraient devenir inutiles. Les options et les possibilités, dans ce cas, sont infinies et les conséquences seraient immenses.
Dr Arslan Chikhaoui
Membre du Conseil consultatif du WEF (Forum de Davos) ainsi que du Forum Defense & Security de Londres. Il est Alumnus du NDU-NESA Center for Strategic Studies de Washington. Il est, en outre, actif dans différentes Track II Task Forces portant sur la NPADM et la RSS au MENA.
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