De la mémoire sélective à la haine à géométrie variable
Par Mesloub Khider – Il est communément reconnu que les ressentiments nourris par les Algériens à l’encontre des harkis sont inversement proportionnels à ceux qu’ils nourrissent à l’encontre de l’ancienne puissance colonialiste. Comme si la main qui a trahi est plus condamnable que le corps armé qui l’a mobilisée, que le cerveau gouvernemental qui l’a dirigée. Paradoxalement, le génocidaire français bénéficie depuis l’indépendance de la clémence, de la bienveillance, de l’indulgence, tandis qu’on réserve aux harkis une haine inexpiable. Les supplétifs de l’armée coloniale sont toujours voués aux gémonies, alors que le pays colonisateur a été absout de ses crimes (contre l’humanité… algérienne).
Ce traitement de faveur réservé à l’ancien colon français ne s’explique pas autrement que par la perpétuation de cette mentalité de colonisé théorisée par Franz Fanon. L’oppression opprime, disait-il. L’intériorisation de l’oppression se pérennise même au-delà de l’affranchissement du colonisé. Et le respect dû au maître s’insinue encore dans l’attitude toute de soumission du colonisé, par-delà le contexte colonial. Le harki, pourtant lui aussi victime d’embrigadement forcé par l’armée coloniale, devient ainsi l’exutoire de la haine emmagasinée pendant presque un siècle et demi d’occupation coloniale.
Comment pourrait-on analyser cette complaisante commisération accordée à la France, sinon par ce complexe d’infériorité toujours vivace parmi les Algériens ? Et comment analyser cette exécration vouée aux harkis, sinon par un transfert de haine longtemps nourrie à l’encontre du colon ?
Mais on ne déteste pas son père (la France). On le critique, on le blâme mais on n’ose pas le haïr. Encore moins le tuer. On se révolte contre lui pour arracher son indépendance, gagner son autonomie mais on lui demeure toujours fidèle.
Après la protestation, retour à la prosternation. Pire : on revient sans scrupule et toute honte bue au bercail de son père, c’est-à-dire sa résidence officielle, nommée la France. Sans éprouver aucun sentiment vindicatif à l’encontre de son ancien bourreau, massacreur. On s’installe sans scrupule dans la résidence (la France) de l’ancien Maître dans une posture de révérence, d’agenouillement, d’aplatissement pour exécuter sans rechigner les tâches les plus ingrates, les plus pénibles. Avec la servitude volontaire. Même si le maître persiste à réserver la même condescendance, à manifester la même arrogance, à exprimer le même racisme.
A l’endroit des harkis, on se dépense en gesticulations, à l’égard des maîtres de la France on se dépasse en génuflexions. Le sentiment de vengeance est réservé aux seuls harkis, pourtant de souche algérienne. Le harki cristallise toute la haine de l’Algérien. Tandis que le Français capitalise le respect qui lui est dû. Capital qu’il n’oublie pas de fructifier en Algérie en monnaie sonnante et trébuchante pour le grand profit et bénéfice de la France.
Et si l’immigré algérien établi en France transfert bien sa haine sur le harki, il oublie allègrement de transférer son capital financier dans son pays d’origine. Qu’il préfère dépenser sur place pour le grand bénéfice de la France. Il est vrai qu’il ne fait qu’imiter les classes opulentes et dirigeantes algériennes qui placent leur argent en France, leur vrai pays.
Seule une analyse freudienne peut dénouer l’énigme et les ressorts psychologiques de ce passé traumatique pour permettre de mieux saisir l’ambivalence de ces comportements encore persistants.
Pourtant, comme l’a explicitement formulé l’historien Mohammed Harbi, «l’idée selon laquelle les harkis auraient été des traîtres ou des “collabos” devrait être dépassée» car les affrontements de la guerre d’Algérie et ceux qui ont opposé la résistance française aux collaborateurs ne peuvent pas être assimilés.
En revanche, la certitude selon laquelle la France coloniale s’est livrée à de sanglants massacres en Algérie ne devrait jamais trépasser.
Mesloub Khider
Fils de moudjahid
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