Le jaune ne sera jamais noir, Monsieur Mehenni !
Par Ahcène Moussi – Il m’est impossible d’éviter, à l’occasion de la célébration du 37e anniversaire du printemps berbère, d’aborder, sans complexe aucun, le projet qui tient à cœur notre ami Ferhat Mehenni. J’appelle, par la même occasion, l’élite kabyle, où qu’elle soit, à rompre le silence et à sortir de sa réserve.
Que les Kabyles prennent conscience du danger qui les guette. Qu’ils ne se laissent pas berner par le premier venu. Je les appelle personnellement à la sagesse et au sens des responsabilités pour éviter le piège de la division et des conflits tribaux «retour au passé lointain».
Nous avons assez souffert. Nous avons besoin de vivre, oui de vivre dans cette Algérie que nous voulons libre et démocratique. C’est justement ce combat que les Imazighen ont de tout temps mené, qu’ils poursuivent actuellement et qu’ils poursuivront pacifiquement demain encore.
Nos ancêtres n’ont jamais été des mercenaires. Ils ont de tout temps été des guerriers aguerris, et c’est justement pour que les générations d’aujourd’hui, nos enfants et arrière-petits-enfants vivent librement et paisiblement. Le temps de la chair à canon doit bien prendre fin en Algérie, autant celui de cette dictature qui nous a gravement malmenés, handicapés, retardés et fatigués.
Que notre ami Monsieur Ferhat Mehenni sache que nous refusons et rejetons avec force cette pensée unique dominante, qui consiste à imposer aux Algériens le point de vue d’une seule personne. Cela fait plus de soixante ans que nous combattons cette vision de «l’unique contre tous» (parti unique, journal unique, TV unique, pensée unique, sens unique, héros unique…), et toutes ces pratiques népotistes. Nous, nous voulons des citoyens libres et nous rejetons fortement toute doctrine qui refuse la confrontation d’idées et qui paralyse le citoyen au point de l’étouffer. Nous brisons mais nous ne plions pas, telle est notre devise.
L’ère est aux débats contradictoires sous l’arbitrage du peuple. Monsieur Ferhat doit prendre conscience que nos villages sont devenus des cimetières à ciel ouvert. Nous avons assez perdu de nos meilleurs enfants. Nos mères n’arrêtent pas de pleurer. Assez donc de jouer avec le feu. Arrêtons cette guéguerre kabylo-kabyle qui risque de nous coûter extrêmement cher. Le combat qu’il faut mener en Algérie n’est pas celui vers lequel Monsieur Mehenni nous oriente.
Le temps est à la construction, et non à la conspiration, à la machination ou à la division. Arrêtons les dégâts et passons aux choses sérieuses. Notre code d’honneur nous interpelle. Nous méritons mieux que ça. Nous voulons toute notre Algérie, dans toutes ses dimensions et ses composantes avec, naturellement, dans son cœur, cette rebelle et belle Kabylie profonde.
De quel droit, Monsieur Ferhat, vous vous permettez de donner, à qui voulait prendre, sur un plateau d’argent, plus de deux millions de kilomètres carrés et de n’offrir au peuple kabyle qu’une seule montagne, une centaine d’oliviers et une dizaine de cigognes en guise de compagnie ?
Nous savons des choses et sommes témoins de beaucoup d’autres. Combien d’ententes ont été signées sous la table et combien de fois des négociations malsaines, par opportunisme politique ou calculs froids, ont été faites sur le dos des Kabyles? Par sagesse, nous avons préféré éviter des situations de blocage, des déviations, de la vengeance ou de graves différends et nous avons alors choisi de poursuivre notre chemin et de continuer proprement notre combat, sans tirer sur personne, et encore moins sur les ambulances.
La Kabylie et les Kabyles ne méritent pas autant de mépris, de désertion et d’irresponsabilité de ses élites et autant de malheurs, elle qui a été à l’avant-garde de tous les combats justes et démocratiques. Elle qui a de tout temps été du côté de l’opprimé. Cela fait plus de soixante ans que nous dénonçons, haut et fort, ce marasme, politique, économique et culturel, englué et poissé à nous. Des générations, la nôtre encore, se sont sacrifiées pour que triomphent l’identité algérienne, la démocratie et la liberté d’expression et, par là même, c’est la dimension amazighe, c’est notre patrimoine ancestral, c’est notre langue tamazight qui seront recouvrés.
Notre patrimoine ancestral est justement toute cette Grande Algérie, qui est d’abord et avant tout amazighe. N’en déplaise à tous ceux qui visent à maquiller ou à déformer cette réalité. N’en déplaise à ceux qui désirent bloquer ou saboter ce combat juste et justifié. Et voilà qu’au moment où les bourgeons commencent à prendre forme et à fleurir, c’est comme un tremblement de terre qui vient de nous secouer et qui risquerait de nous diviser de plus belle. Monsieur Ferhat Mehenni en est la cause.
Nous sommes des démocrates et nous sommes prêts à débattre avec vous, Monsieur Mehenni, et à vous démontrer pacifiquement, fraternellement, démocratiquement et amicalement que votre projet, passant du MAK au MIK, en un temps record, risquerait d’être pour la Kabylie ce que la bombe atomique a été pour Nagasaki en 1945. Il n’est pas trop tard pour que Monsieur Mehenni change de paradigme car persister dans cette voie, c’est prendre l’ensemble des Kabyles pour des canards sauvages.
Ce grand peuple amazigh est suffisamment adulte et conscient. Les Kabyles ont compris que c’est un projet «mossado-hitchcockien» que voudrait leur imposer Monsieur Ferhat Mehenni. C’est un menu empoisonné qui risquerait de «syrianniser» les populations amazighes, non seulement en Kabylie mais dans toute l’Afrique du Nord. Les Kabyles vous respectent Monsieur Ferhat mais, de là à toucher à l’âme, à l’intégrité et à l’unicité de leur pays, ça devient de la lâcheté. Votre projet, Monsieur Mehenni, ne tient pas la route ; nous pouvons en débattre avec vous, évoquer l’histoire, la Révolution, nos héros et chefs historiques, le printemps berbère, les Arches, le MCB… et le tout sous le seul arbitrage de ce même peuple kabyle, que vous croyez pouvoir tromper.
Le peuple algérien, en général, et kabyle, en particulier, viennent de vous signifier un premier carton jaune. Vous êtes intelligent, nous n’avons aucun doute là-dessus ; vous comprenez alors qu’il faut éviter le carton rouge.
Vous êtes, surtout, un grand poète, vous conviendrez donc avec moi que le jaune est la couleur préférée des Kabyles et que les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Pensez-vous, un instant, que les Kabyles remplaceraient alors le jaune par le noir ? Démocratiquement et amicalement.
Ahcène Moussi
Président de la Mouvance migratoire Ô Canada
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