Maroc : la colère continue d’agiter Al-Hoceima
Le mécontentement continue d’agiter la ville d’Al-Hoceima, au cœur du Rif, dans le nord du Maroc, plus de six mois après la mort tragique du vendeur de poisson Mouhcine Fikri, suscitant l’indignation de la population à travers une série de manifestations qui se sont poursuivies en début de semaine pour réclamer justice, en plus de revendications politiques et sociales contre la marginalisation de la région, ne cessent de rapporter les médias.
Après le drame, des milliers de Marocains se sont rassemblés là pour manifester leur indignation face à un drame survenu en octobre 2016 qui avait choqué tout le pays et rapporté en masse par les médias internationaux.
Le marchand de 31 ans s’était assis sur une benne à ordures pour empêcher la destruction de sa marchandise par la police, avant d’être happé par le mécanisme. Les circonstances effroyables de sa mort, filmées par un téléphone portable et diffusées sur les réseaux sociaux, avaient mis les autorités dans une situation délicate, les poussant à ouvrir une enquête pour «homicide involontaire».
Mais cela n’a pas suffi pour faire taire la contestation, qui n’a pas cessé depuis, réclamant, outre rendre justice, les vieilles revendications politiques et sociales de la population de cette région «oubliée» par les autorités.
Le mécontentement a ainsi continué en début de semaine d’agiter cette ville de 56 000 habitants, au cœur du Rif, une région enclavée le long de la côte méditerranéenne, au lourd passé protestataire. «Tout le monde s’attendait à deux issues : soit le Hirak chaabi (nom du mouvement de contestation) allait dégénérer en événements violents, soit il allait s’éteindre de sa belle mort», témoignait Mortada, un jeune militant cité par le quotidien Le Monde. Mais aucune de ces deux hypothèses ne s’est concrétisée. Le mouvement continue de défier les autorités.
«La situation à Al-Hoceima peut paraître calme, mais les rancœurs peuvent dégénérer», a, toutefois, confirmé Ali Belmezian, président de la section locale de l’Association marocaine des droits humains (AMDH).
«Nous, on réclame un vrai pôle hospitalier dans la ville pour ne pas être obligés d’aller jusqu’à Tétouan (à quatre heures de route par une rocade sinueuse)», a indiqué, pour sa part, Anwar.
«Les protestations se poursuivent toujours dans le cadre d’un mouvement pacifique régulier. Le mot d’ordre : appeler à un dialogue constructif autour des revendications sociales et économiques des habitants», précise le responsable de l’AMDH, cité par les médias.
M. Belmezian rappelle que la région a entamé son «mouvement revendicatif» le 20 février 2011 et que la mort de Mouhcine Fikri a été un vecteur pour son renforcement. «Les autorités locales devraient plutôt rencontrer les jeunes de la région et apaiser les tensions sociales. Où sont-elles passées, où sont passés les élus de la région ?», se demande-t-il, soulignant l’urgence, pour les autorités locales, de mettre en place un mécanisme de dialogue avec la population. «Aucun argument ne peut arrêter les protestations tant que les revendications légitimes de la population n’aboutissent pas et que le sentiment de la ‘‘hogra’’ (mépris) persiste», assure-t-il.
Derrière le drame du poissonnier, une région marocaine en difficulté
Plus que la vigueur du ton, ce sont les épisodes de violence qui ont fait l’actualité des dernières semaines. Le 26 mars, deux marches de lycéens, parties de Beni Bouayach et Imzouren, à une vingtaine de kilomètres d’Al-Hoceima, ont dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre. Des véhicules et un immeuble des forces auxiliaires ont été brûlés. Quelques jours après ces incidents, le gouverneur de la région, Mohamed Zhar, en poste depuis un an, a été rappelé et plusieurs hauts responsables ont été limogés, mais cela n’a pas suffi pour calmer le mouvement de protestation.
Selon les médias locaux, le ministre de l’Intérieur s’était rendu le 5 avril sur place pour tenter d’éteindre une polémique sur la «militarisation» du Rif, en référence à un décret royal proclamant l’état d’exception mis en place en 1958 et qui n’a jamais été formellement abrogé.
«Nous placer sous zone militaire, c’est envoyer le signal que nous vivons dans une caserne», s’indigne un militant cité par des médias. «C’est ce qui empêche les investisseurs de s’implanter et de créer des emplois», a-t-il affirmé.
«Al-Hoceima manque de tout : pas d’université ni d’hôpital digne de ce nom. Notre ville n’attire aucun investissement d’envergure», énumère un autre militant, Achraf. «La raison de ce retard ? Nous avons été combattus, punis, alors que nous avons mené la résistance au colonialisme espagnol et tenu tête à la dictature», a-t-il déploré.
En outre, la répression du soulèvement populaire du Rif, lors de l’hiver 1958-1959, est un souvenir encore vivace dans les esprits des Rifains. En 1984, un autre soulèvement secoue le Rif. Tous revendiquent l’histoire de leur région pauvre.
Le sentiment de marginalisation avait reflué depuis l’intronisation (de Mohammed VI en 1999), analyse le maire Mohamed Boudar (Parti authenticité et modernité), médecin, ajoutant que le gouvernement de Benkirane «a complètement délaissé notre région depuis 2012».
Quelles que soient les responsabilités, tout le monde s’accorde sur le constat : Al-Hoceima est une ville enclavée. Avec la crise économique en Europe, même les transferts d’argent des émigrés ont diminué. Et le nouveau découpage administratif a privé la ville de son statut de chef-lieu de région.
R. I.
Comment (10)