L’UE prête à renier ses valeurs pour une bouchée de poisson volé aux Sahraouis
Dans un entretien accordé cette semaine au magazine Afrique-Asie, Amar Belani, ambassadeur d’Algérie auprès de l’Union européenne, explique comment certains lobbyistes européens payés par le Makhzen s’emploient actuellement à contourner les dispositions du dernier arrêt de la Cour européenne de justice (CJUE) se rapportant aux accords liant l’UE au Maroc : «(…) L’analyse des déclarations de certains hauts responsables de l’UE et le ballet de visites effectuées en toute discrétion par ces responsables à Rabat suggèrent que les deux parties travaillent main dans la main pour trouver les moyens techniques de contourner cet arrêt de justice, ce qui explique l’opacité avec laquelle sont menées ces tractations et les interrogations incessantes des eurodéputés quant à leur teneur.»
L’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles précise toutefois qu’«au plan du droit, théoriquement cela devrait être hautement improbable dans la mesure où les dispositions de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016 sont claires et stipulent que les produits et ressources du territoire du Sahara occidental doivent être exclus du champ d’application des accords commerciaux conclus entre l’UE et le Maroc». Il rappelle, en outre, que «cette décision irrévocable de la justice européenne est contraignante aussi bien pour la Commission européenne que pour les Etats membres de l’UE. Elle découle du statut distinct et séparé reconnu par le droit international et la Charte des Nations unies au Sahara occidental en tant que territoire non autonome».
Amar Belani n’est pas le seul à attirer l’attention de la communauté internationale sur le stratagème que sont en train de mettre en place le Maroc et ses «complices» au sein de l’UE pour vider de sa substance la décision de justice de la CJUE. L’ONG internationale Western Sahara Resource Watch avertit également que la Commission européenne a sollicité l’accord des Etats membres de l’UE pour un nouveau mandat de négociation en vue de corriger certaines dispositions de l’accord commercial controversé avec le Maroc afin d’y inclure les marchandises du territoire occupé du Sahara occidental.
Pour Amar Belani, le «calme olympien» affiché dernièrement par le Maroc accrédite effectivement l’idée que quelque chose se trame contre les intérêts du peuple sahraoui : «Il ne vous aura pas échappé que les autorités marocaines, d’habitude promptes à réagir au quart de tour au moindre rappel par l’UE des principes du droit international, tel que le statut non autonome du territoire du Sahara occidental ou son éligibilité à l’autodétermination, affichent ces derniers mois un calme olympien comme si des garanties leur ont été données quant à l’issue de ces discussions.» Pour lui, ces garanties pourraient, par exemple, «prendre la forme d’une disposition prévoyant des consultations préalables avec des « institutions » factices, crées de toute pièce par le Maroc, et l’élimination de toute référence au terme « peuple du Sahara occidental » (tel qu’énoncé dans les référents onusiens ainsi que dans l’arrêt de la CJUE) et son remplacement insensé par « population locale », ce qui serait une véritable forfaiture».
L’ambassadeur d’Algérie auprès de l’Union européenne pense qu’une telle entente pourrait être scellée entre les deux parties dans la mesure où «l’UE affiche une posture morale à géométrie variable selon les situations». A ce propos, il attire l’attention sur le fait qu’«au moment où les responsables européens affirment au plus haut niveau la détermination de l’UE à veiller à ce que, conformément au droit international, l’ensemble des accords conclus avec Israël mentionnent sans équivoque et expressément qu’ils sont inapplicables aux territoires occupés par Israël en 1967, aucune dispositions du même genre n’est prévue dans les accords conclus avec le Maroc, alors que dans les deux cas il s’agit d’occupation». Et pour Amar Belani, il serait bien évidemment regrettable que l’UE décide, au nom d’un pragmatisme de mauvais aloi, de fouler au pied les principes et valeurs sur lesquels elle a été construite et dont elle se prévaut dans ses relations avec le reste du monde.
Malgré ces développements, le diplomate algérien dit rester confiant quant au fait que «le droit prévaudra en dernier ressort» et qu’il est conforté dans ce sentiment par les annonces en cascade d’entreprises européennes qui ont décidé de se conformer à la légalité internationale en mettant fin à l’exploitation des ressources du territoire du Sahara occidental, à l’instar de la décision prise récemment par la multinationale suisse Glencore PLC spécialisée dans l’exploration pétrolière offshore. Il dit noter également avec «satisfaction» la fin de l’impunité avec laquelle le Maroc menait en toute illégalité ses opérations d’exportation de ressources du territoire du Sahara occidental, comme l’illustre la saisie par un juge sud-africain d’un bateau transportant 54 000 tonnes de phosphates d’une valeur de 5 millions de dollars destinée à la Nouvelle-Zélande, provenant des mines de Boucrâa, dans les territoires sahraouis occupés illégalement par le Maroc.
Sadek Sahraoui
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