Une contribution du Dr Arab Kennouche – Bouteflika sans APN représentative
Les derniers résultats des élections législatives marquent une rupture fondamentale dans l’histoire encore toute récente de l’Etat civil algérien, tel qu’il a été conçu par la présidence de la République. Près de sept Algériens sur dix ne sont pas allés voter, soit une grande majorité parmi l’électorat algérien. Il ne faudrait pas prendre ce résultat à la légère une fois de plus comme par le passé, où les autorités algériennes ont souvent fait la sourde oreille aux aspirations profondes du peuple, le considérant soit encore trop mineur, ou bien non totalement au fait des données du problème politique algérien.
Pourtant, il semblait presqu’acquis que la nouvelle Constitution votée récemment allait asseoir un pouvoir politique stable, comme le souhaitait ardemment le président de la République, en créant une nouvelle mouture constitutionnelle garante des grands principes démocratiques. Il fut notamment créé une Commission de surveillance des élections confiée à un ancien islamiste, donc assurée d’une certaine légitimité ou caution religieuse : la HIISE présidée par Abdelwahab Derbal.
Mais, dans le même temps, il faut le rappeler, de nombreuses irrégularités furent constatées dans l’établissement des têtes de liste du FLN, principal parti du pouvoir présidentiel. Commission de contrôle démocratique du processus électoral dans la lettre, mais avec l’esprit d’un jeu pipé dès le départ, ce que le secrétaire général du FLN n’a jamais manqué de souligner dans autant de déclarations maladroites et contradictoires, mettant en péril l’avènement de l’Etat civil. Il semble en effet que le premier responsable de cette débâcle soit Djamel Ould-Abbès lui-même, qui n’a raté aucune occasion pour dire au peuple algérien que le FLN de Bouteflika gagnerait quoi qu’il arrive, en plus de garantir à la «bouteflicratie» un cinquième mandat ; un mandat infini en quelque sorte.
Alors pourquoi aller voter ? Au-delà des parachutages chèrement octroyés et des nombreuses fraudes avérées, c’est l’avenir et l’image du FLN qui posent désormais problème. Tant dans sa mission encore inachevée de libération nationale que dans son projet de construction démocratique d’une Algérie souveraine. Un FLN sali par de mauvaises mains. En instrumentalisant le FLN, le pouvoir politique a de nouveau remis en cause l’existence du vieux Front de libération nationale, le présentant comme un repoussoir, un épouvantail aux yeux de la nation. Malheureusement, la toute jeune nation algérienne ne peut pas se passer de cette structure qui est la seule en Algérie à bénéficier d’une entière assise nationale ainsi que de profondes racines historiques.
Il est indéniable également que seul le FLN a su réunir le plus d’Algériens possible sur une superficie aussi grande que le territoire national, sans compter ses excroissances à l’étranger. L’expérience politique du FLN comporte une dimension vitale pour l’Algérie, ayant été à la racine de la naissance de l’Etat algérien indépendant. Sans le FLN, il n’y aurait jamais eu d’Etat algérien souverain. Or, on constate chaque année son affaiblissement, voire un début de gangrène irrémédiable, désormais visible dans les résultats des législatives du 4 mai 2017.
Les Algériens sont difficilement manipulables quand on leur crie avec autant d’arrogance que les jeux sont faits. Ils ont répondu comme il se devait à un processus politique injurieux, digne des plus grandes farces du quatrième mandat, si bien qu’aujourd’hui, on se retrouve avec un Etat civil sans Parlement pour ainsi dire. La farce a atteint son paroxysme.
Mais il faut encore garder le FLN. Tirer sur ce fil en le bannissant mettrait en danger la maison Algérie. Il existe plusieurs raisons à cela. Premièrement, les partis politiques algériens nés de la fin du parti unique ne disposent pas de véritable enracinement populaire, puisqu’ils émergent presque tous d’en haut, c’est-à-dire d’une politique de l’Etat qui était en crise au début des années 1990. Ils tiennent plus de l’artificiel ou du bandage contre une hémorragie –celle de la crise du monopartisme – que d’une représentation socioéconomique des classes structurant la société algérienne. Deuxièmement, et c’est un point important, les idéologies invoquées par les partis dits de l’opposition, laïques ou islamistes, sont des programmes importés qui ne correspondent en rien à la réalité historique dans laquelle baigne la société algérienne. L’islamisme des Frères musulmans, ou bien celui des wahhabites, ou encore la démocratie laïque représentent autant de greffons idéologiques qui n’ont réellement aucune emprise sur la sensibilité éthique de la nation algérienne. Ce sont des formations urbanisées, qui n’existent que par le fait d’un pouvoir médiatique international et dont l’existence s’explique par des foyers de propagande extérieurs à l’Algérie.
Ces idéologies importées ont eu beaucoup de mal à convaincre un peuple qui pourtant méconnaît encore la profondeur et la richesse de ses racines culturelles. On peut dès lors s’étonner que le président de la République fasse appel au MSP de Mokri pour tenter de colmater la brèche de l’effondrement du FLN version Ould-Abbès. Une tactique qui vise à donner un second souffle à des institutions largement entamées par un pouvoir présidentiel responsable de ne pas vouloir une véritable refondation politique telle qu’il le laissait entendre par le slogan de l’Etat civil.
Il est évident que le président de la République joue aussi une carte de l’alternance islamiste à son pouvoir personnel, sur un modèle assez proche de celui concocté par le roi Mohammed VI et de son gouvernement civil du PJD.
On connaît la «sensibilité islamiste» du Président : prendrait-il le risque de composer avec des partis islamistes légalistes pour continuer de gouverner le pays sur les ruines d’un FLN qu’il a contribué à faire s’effondrer ? Une véritable crise d’Etat. Le quatrième mandat se profile désormais comme une véritable crise de l’Etat algérien par l’absence même de l’idée d’une Assemblée représentative, véritable poumon dans le fonctionnement démocratique des institutions étatiques.
Bien qu’il soit souverain en droit, le peuple algérien a voulu exprimer qu’il ne désirait plus exercer ses droits, non pas qu’il défie l’Etat lui-même, mais ses représentants.
Cette crise de représentativité arrive à son terme : vidées de leur sens, les grandes fonctions de l’Etat semblent tourner dans le vide, au point que la décision politique ne s’effectue plus dans l’Etat civil mais à l’extérieur de celui-ci.
Une deuxième conséquence fâcheuse de ce vide abyssal entre l’Etat et son peuple semble aussi poindre à l’horizon : le risque de retrouver sur le territoire national deux corps insensibles l’un à l’autre : un Etat sans peuple – le comble de l’Etat civil – et un peuple sans Etat. On ne peut effectivement s’en remettre éternellement au ciment de l’ANP pour accorder deux protagonistes qui n’arrivent plus à communiquer depuis l’avènement de l’Etat civil.
Aussi, remettre aux calendes grecques une transformation profonde et conséquente des institutions algériennes, en comptant sur le rôle exclusif d’une armée puissante, semble insuffisant à l’heure actuelle.
Il convient de promouvoir une véritable alternance de pouvoir en Algérie, alors que l’on continue de jouer la partition du «monopartisme» et de ses avatars par manque de vision stratégique et par frilosité politique. Pour ce faire, il faudra d’une manière ou d’une autre attribuer au FLN une seule et unique fonction d’alternative au lieu de s’en servir comme levier de pouvoir pour l’accaparement de la Présidence et des ministères de souveraineté, ce qui en fait le plus grand épouvantail de l’Algérie politique actuellement. Conserver le FLN et lui attribuer une véritable opposition alternative semble la seule voie possible pour sortir l’Algérie de cette crise institutionnelle.
Dr Arab Kennouche
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