«Le Monde» explique pourquoi le projet de gazoduc Nigeria-Maroc est une utopie
Le projet médiatique de gazoduc Nigeria-Maroc, c’est un fantasme. Ce n’est pas un média algérien qui le dit, mais un journal français, Le Monde, et il en énumère les raisons dans un article sous le titre «Gazoduc Maroc-Nigeria : l’avenir de l’Afrique de l’Ouest ou chimère ?». L’article expose les données de ce projet et explique, en s’appuyant sur l’argumentaire d’un expert présenté comme un «bon connaisseur du dossier», pourquoi sa «réalisation semble extrêmement compliquée».
D’abord une raison sécuritaire majeure : personne ne mettra 15 à 20 milliards de dollars dans un projet dont le point de départ se situe dans le delta du Niger, une région du sud du Nigeria connue pour ses violences à répétition. Et si, par miracle, cela se trouvait, le gazoduc aurait à traverser, selon son tracé, «une dizaine de pays dont certains dans des situations particulièrement difficiles». Ensuite une raison économique, c’est-à-dire le chapitre prioritairement pris en compte par les investisseurs : «Les découvertes récentes de gaz qui ont été faites en Mauritanie et au Sénégal sont colossales et se trouvent beaucoup plus près du Maroc.» Enfin une raison qui relève du domaine géostratégique et qui rend un tel projet tellement complexe que ses promoteurs auront vite fait de se casser les dents.
Alors pourquoi, en l’absence du président Muhammadu Buhari, «gravement malade et actuellement à Londres pour des soins» comme le rappelle Le Monde, le roi du Maroc s’est-il empressé de signer dernièrement avec le ministre nigérian des Affaires étrangères un protocole d’accord sur ce projet ? D’après la même source, l’explication est avant tout politique et on devine que le problème de la décolonisation du Sahara Occidental n’est pas loin. C’est l’expert interrogé par les journalistes du Monde qui l’affirme: «Il s’agit d’obtenir du Nigeria une neutralité bienveillante face aux ambitions africaines du Maroc, que ce soit pour son entrée dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao, qui compte quinze pays) ou sur la question sahraouie.» «Sans l’accord d’Abuja, poursuit l’expert, il ne sera pas (non plus) possible au Maroc d’intégrer la Cédéao dont le prochain sommet doit avoir lieu en juin au Liberia.»
Naturellement, Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, conteste ces arguments : «Le Maroc n’attend pas d’intégrer la Cédéao pour développer sa présence en Afrique de l’Ouest. Nous sommes les premiers investisseurs de la région, nous avons participé à des opérations de maintien de la paix, mené plusieurs médiations, comme en Gambie.»
Mais le forcing du Maroc sur le Nigeria est évident. D’après Le Monde, un autre accord a été signé entre les deux pays pour un «renforcement des capacités de production et de distribution d’engrais au Nigeria», marquant «la seconde phase d’un partenariat agricole également lancé en décembre entre Rabat et Abuja». Le spécialiste insiste sur les caractéristiques du Nigeria, qui n’est pas n’importe quel pays en Afrique : géant du continent, interlocuteur précieux et surtout «ayant toujours soutenu la République arabe sahraouie démocratique (RASD)» et, sans doute de ce fait, entretenu «historiquement» des «relations compliquées» avec le Maroc.
L’Algérie est concernée par le bluff du Makhzen car, en même temps, le Maroc veut «faire pression sur les Algériens en vue de la renégociation des prix du gaz prévue à l’horizon 2020». Mais le principal objectif d’une telle opération, plus médiatico-politique qu’économique, reste lié à l’obstination du Makhzen, en grande partie fondée sur l’hostilité à l’Algérie, de «faire reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental et développer l’influence du royaume qui veut s’affirmer comme une puissance régionale et vient de réintégrer l’Union africaine après 32 ans d’absence».
Houari Achouri
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